Sauvage, nue, la langue sortie de sa bouche, une inconfortable image de force, de pouvoir éclatant. Elle porte les bijoux les plus somptueux, des bracelets et colliers ornementés et de fantastiques boucles d'oreilles en forme d'éléphants. Il y a du sang - substance troublante avec laquelle les femmes sont particulièrement familières - partout et autour d'elle : le sang s'écoule de la tête tranchée d'un démon qu'elle tient dans l'une de ses mains, il se collecte dans un récipient en-dessous; le sang est sur sa langue, sur son collier composé de têtes tranchées, sur sa ceinture faite de bras coupés, qui à lui seul couvre sa nudité; une mare de sang à ses pieds. Là, se trouve aussi un démon décapité et à son côté, l'époux de la déesse, Shiva, le destructeur, le serpent et tout.
Pensez aux effigies d'argile de Kali, fabriquées à la main, juste à côté du temple de Kalighat, à Calcutta - certaines plus grandes que nature, d'autres miniatures, toutes la langue sortie et les bras qui dansent. Pouvez-vous imaginer une forme plus féroce?
C'est un véritable monstre, dans le sens où elle inspire à la fois l'effroi et l'admiration, belle mais d'aucune façon jolie - pas superficielle, aucunement docile ou confortable. Kali - regardez-la! - se moque complètement d'être désirable ou non. Elle n'est pas effrayée par son pouvoir, et si vous l'êtes, cela ne regarde que vous. Ce n'est pas le genre de divinité qu'on trouvera facilement assise sur l'étagère du salon ou sur un cadre accroché au mur encadré de fleurs de soucis et c'est très bien ainsi, elle doit tuer.
Kali est l'incarnation quintessentielle de shakti, le pouvoir féminin. Elle émerge comme déesse indépendante vers 1000 ans avant l'ère chrétienne et évolue comme une figure controversée : elle est une effrayante incarnation de la destruction, assoiffée de sang. et l'ultime protectrice contre le mal. Elle est spirituelle et matérielle, érotique et sexuelle, et en tant que telle, dans les cultes tantriques tournant autour d'elle, l'érotisme est une manière de confronter ses plus profondes peurs.
Arundhuti Singhal, co-fondatrice de Mythology Project, une plateforme d'analyse de la mythologie et du folklore, note que la nature ambivalente et contradictoire de Kali est due au fait qu'elle est une divinité féminine très ancienne. La duplicité et la multiplicité était un trait associé aux divinités féminines de l'antiquité, explique-t-elle. Les divinités masculines n'ont qu'un seul aspect - à l'exception de Shiva, qui possède une nature complexe parce qu'il est de nature à la fois féminine et masculine, mais vous n'auriez jamais une déesse possédant un seul aspect", dit-elle.
Kali et d'autres déesses anciennes étaient l'expression de la nature. Comme la nature, elle a un côté destructeur et un côté bienveillant. Ainsi, elle n'est pas tout à fait une devi, une déesse, mais partage les traits ce qu'on appelle les asuras (démons, à défaut d'une meilleure traduction), des êtres surnaturels différents qui n'ont pas toujours l'habileté de garder leurs passions sous contrôle. Puisque féminine, le pouvoir de la création repose en elle; ainsi, la force la nature également.
Cela fait de Kali une icône féministe dont nous avons besoin aujourd'hui, puisqu'elle est une figure complexe aux traits contrastants, lesquels sont tous des expressions d'égale importance de la force féminine - sans vergogne, parce qu'il n'y a rien pour lequel elle considère devoir s'excuser.
Le rôle de Kali dans la mythologie véhicule un concept de la féminité très différent des idéaux modestes, gracieux qui sont courants à travers le monde - incluant en Inde, terre qui donna naissance à cette féroce déesse et qui pourtant prescrit un idéal de la femme comme étant respectueuse, soumise, obéissante. Kali n'est rien de cela. Son pouvoir et sa férocité sont plus grands que ceux de Shiva, qu'elle manque de tuer en l'écrasant de ses pieds, une image tellement troublante pour la patriarchie que, selon la mythologue Devdutt Pattanaik dans Seven Secrets of the Goddess, a longtemps été gardée secrète.
Le mythe fait d'elle une déesse assoiffée de sang et incontrôlable, alors que Shiva, divinité masculine, est sage et en contrôle. Mais cela, note Singhal, est simplement une interprétation masculine de l'histoire, forgée par des siècles de valeurs patriarcales.
Il y a d'autres façons d'interpréter le mythe, dont une indiquant que la déesse n'essaie pas de dominer Shiva - elle danse, célébrant sa victoire contre le démon, et s'est laissée emporter. Cela s'explique, comme Pattnaik le note, du fait que la force Kali est comme la nature pure, indifférente au regard humain. Toute intention ou sentiment que nous projetons sur elle ne sont que des interprétations. Elle existe, forte et libre de toute constriction culturelle.
Elle représente la nature à son plus brut, plus indomptable. Elle est la culmination de tout ce qui est force et pouvoir. Elle est aimante sans être dévouée. Elle est la mère ultime - la mère de tout pouvoir - sans être réduite au rôle de mère.
La féminité de Kali n'est pas performative. Elle n'est pas docile, comme d'autres avatars du divin féminin comme Durga ou Parvati, apaisante, raisonnable, soumise ou respectueuse. Elle n'a pas non plus les traits que les féministes d'autrefois et même d'aujourd'hui voient et aiment en elle. Elle n'est pas en colère - bien qu'elle soit comme une furie - parce que la nature ne connaît pas la colère. Elle n'est même pas sauvage, bien que son apparence rejette les contraintes de la culture. Elle est, simplement, la nature elle-même.
Choisir Kali comme une icône n'est pas de réclamer le droit d'être agressive, sauvage, horrible ou sans pitié - c'est embrasser le but ultime pour lequel les femmes continuent de se battre - simplement de pouvoir être. Et comme Kali, quoique le regard humain choisisse d'y voir.