.: L'indomptable Ishtar
Tiré du livre "La déesse sauvage" de Joëlle de Gravelaine, chapitre IX, page 152-162.
Selon qu'on se réfère aux mythes sumériens ou akkadiens, elle prend les noms d'Ishtar ou d'Inanna, fille d'Anou et/ou de Sin. On la confond avec l'Astarté des Phéniciens, l'Anat des Sémites, l'Héra Syrienne ou l'Aphrodite, appelée elle-même tantôt Cybèle ou Atargatis. Lucien de Samosate dit en outre : "Il existe aussi en Phénicie un autre grand sanctuaire, appartenait aux Sidoniens. Il est, à ce qu'ils disent, consacré à Astarté. Mais je crois quant à moi que cette Astarté n'est point autre que Séléné". Astarté est en effet l'une des plus anciennes et magnifiques déesses des Sémites. On la trouve aussi sous le nom d'Ashtoreth chez les Cananéens. Et Mario Meunier, dans sa traduction de Lucien de Samosate, rappelle qu'Astarté a "plus d'un rapport avec l'Ishtar babylonienne, divinité de la guerre et de la fécondité, voluptueuse et belliqueuse à la fois, déification de la planète Vénus, qu'on voit tantôt le matin tantôt le soir et qui, à ce titre, était aussi considérée comme tantôt mâle, tantôt femelle".Comme on peut l'imaginer, il n'est pas toujours facile de rendre à César ce qui lui est dû et à Ishtar ce qui la définit.Pourtant Ishtar a sa personnalité bien spécifique et qu'on l'appelle ainsi ou Inanna, on ne peut la confondre avec une autre. Qu'il y ait synchrétisme, assimilation, on en conviendra. Mais il existe sur Ishtar suffisamment de textes aujourd'hui déchiffrés pour qu'on soit en mesure de comprendre le personnage, qu'on renonce à en faire une déesse "mère", mais qu'on la reconnaisse comme déesse de l'amour, de la volupté, de la liberté. En cela, elle est plus proche d'Aphrodite ou de Delebat (autre nom de Vénus) que d'Isis ou de Déméter; ou plus proche de Cybèle.On pourrait être tenté de mettre sur le compte de son androgynat et sur la partie masculine de celui-ci ses tendances belliqueuses, son âme guerrière et exaltée, sa passion pour les armes. Ce serait certainement déloyal à l'égard des hommes, car elle semble fort bien assumer sa nature fière, orgueilleuse, impérieuse et séductrice en même temps. Elle est "à la fois" déesse de l'amour et de la guerre, comme Anat la Sémite sera à la fois "déesse de l'amour et du carnage". Et cette dernière mérite bien, elle aussi, un bref détour...
1. La Grande Barbare
Ishtar n'est pas un ange. Capricieuse, peut-être infidèle, armée d'une volonté de fer, ne pardonnant aucune injure, capable de pousser à l'extrême sa vengeance pour peu qu'elle soit offensée, elle est cependant capable de compassion, de pitié pour les créatures terrestres; elle peut les plaindre lorsqu'une calamité les éprouve... ce qui ne l'empêche pas, de temps en temps, dans sa colère, d'envoyer aux hommes quelques redoutables épreuves!Elle est aussi cruelle, pleine de mépris de morgue. Tout comme Cybèle, et en tant que déesse de l'amour libre - et non du mariage - ses rites attireront l'attention par leur caractère licencieux, dit-on pudiquement, alors qu'on peut à bon droit parler d'orgies et de désordres, tout comme les suivants de Cybèle défraieront la chronique grecque et romaine.Jean Bottéro (Quand les dieux faisaient l'homme, Bottéro & Kramer) dit très justement que "sa personnalité est devenue si exubérante et envahissante que presque toutes les anciennes déesses ont en fin de compte pâli et se sont pratiquement effacées devant elle. Son nom a fini par s'entendre comme a potiori, étant de la nature divine au féminin". Plus de quinze grands sanctuaires, ici et là, lui ont été consacrés, et cela dès l'époque paléo-babylonienne et donc au cours de la première moitié du IIe millénaire :
"Je célèbre la très haute,la plus vaillante des dieux!
De la fille de Ningal
j'exalte la puissance.
Oui, d'Ishtar la très haute,
la plus vaillante des dieux,
la fille de Ningal,
je redis la puissance!
Fameux sont ses exploits
Ses menées sibyllines!
Elle est toujours à guerroyer
et d'une activité déconcertante!
Devant dieux et rois, elle tournoie (valse) de toute sa virilité! [...]
Istar l'extravagante
s'entend à terrasser!
Sa fête, c'est guerroyer,
d'entrechoquer les combattants
Son enthousiasme à batailler
Révèlent sa vraie nature! [...]
On lui a remis l'univers!
On l'a dotée d'un mâle courage, d'exploits et de vigueur! [...]
On ne peut la tenir en laisse,
Elle s'échapperait, elle est trop forte!"
Comment la comparer aux tendres déesses de la maternité? Ce qu'elle aime, la chose est explicitée, c'est se battre, trucider ses ennemis et aussi, parce qu'elle en a le goût sauvage, faire l'amour, consommer des amants. Gilgamesh le lui reprochera d'ailleurs avec assez de violence, alors qu'elle lui fait des avances, ne voulant pas connaître le sort des victimes de cette Antinéa. Il lui dit en substance : " Tammoux (ou Dummuzi), le chéri de ton jeune âge, tu lui as enseigné une déploration funèbre annuelle"; le reproche est ici à peine voilé, car Ishtar est bel et bien responsable de la mort de son amant, de son premier amour, du "chéri de son jeune âge". Et Gilgamesh de clore une longue liste par ces mots : "Alors, moi aussi, si tu m'aimes, tu me traiteras donc comme eux!..."
Si on en croit l'histoire d'Inanna-Ishtar et du jardinier Sukaleduta, il n'a pas tort et craint les effets fatals des étreintes de la déesse, qu'elle soit ou non consentante. D'ailleurs, sur cette dernière légende deux versions existent. L'une fait d'Inanna une victime surprise par un jardinier lubrique, et l'autre fait d'elle la "dévoreuse" qui se venge du refus du jardinier. Comment trancher?
2. Le jardinier amoureux
Dans l'une des versions où elle est victime, nous apprenons qu'elle décide de faire un tou r sur terre. De toute façon, elle est d'humeur voyageuse, conquérante, et cherche soit à étendre en permanence son réseau d'influence, soit à vérifier de près ce qui se passe chez les humains.Ainsi descend-elle sur terre, montée sur un puissant auroch céleste puis chevauchant un énorme lion terrestre. Enki, sur terre, a créé le palmier-dattier mais par la faute du vent, son jardinier, Sukaletuda, voit ses plantations détruites. Il a beau créer des coupe-vents, planter des arbres serrés et ombreux, le désordre est partout dans la végétation. La déesse, la "hériodule fourbue", arrive au jardin; fatiguée elle s'étend et s'endort. En guise de cache-sexe, elle avait disposé devant elle la ceinture des sept pouvoirs. Mais Sukaletuda l'avait épiée: "Il détacha le pagne protecteur, la baisa et la pénétra". On notera au passage que les Mésopotamiens ont tendance à appeler un chat un chat, sans pudeur excessive... Lorsqu'elle se réveille, elle comprend que "son sexe a été outragé", cherche son agresseur, bien décidée à se venger; elle ne le trouve pas. De rage, elle change toute l'eau des puits et des réservoirs en sang (ce qui laisse entendre qu'elle provoque une guerre) puis d'autres catastrophes, de tornades, etc. Le jardinier va trouver Enki et lui demander conseil. Ce dieu sage recommande alors - et cela à trois reprises - d'aller se cacher à la ville, parmi ses semblables. Ainsi ne le retrouvera-t-elle pas. Après avoir lancé toutes sortes de charmes maléfiques, elle a l'idée à son tour d'aller trouver Enki, supposant que le jardinier est allé le voir. Elle demande alors à Enki de lui livrer son agresseur et le dieu lui remet l'homme contre la promesse qu'elle l'emmènera sain et sauf. Ce qu'elle fait. Mais devant le peu de remords manifestés par Sukaletuda, elle le condamnera à devenir "de plus en plus petit", et on peut supposer qu'elle le change en crapaud!
3. Déesse d'Uruk
Jean Bottéro pense - et cela est convaincant - qu'elle vient des steppes sauvages, mais qu'estimant mériter mieux, elle demande à Enki, le dieu suprême, les éléments de culture et de progrès qui manquent à son peuple d'Uruk.Ishtar-Inanna est de la race des grandes déeses et elle sait s'imposer, même aux plus grands dieux. Notamment à Enki. Un jour où celui-ci partage avec elle la bière et le vin, après avoir "trinqué à qui mieux mieux au Ciel et à la Terre", il offre à sa "fille" Inanna des pouvoirs innombrables. Et la déesse accepte bien volontiers les présents qu'il lui propose spontanément alors qu'elle avait sans doute en tête de les lui réclamer. Mais elle sait y faire et il ne faut pas perdre de vue que c'est une grande séductrice: même les dieux les plus sages sont sensibles à ses charmes. Inanna prend donc tous les pouvoirs offerts, plus de cent, qui vont de l'art du chant à l'office d'anciens, au sceptre et au noble manteau, au poignard et à la matraque, à l'érotisme et au baiser, à la chevelure nouée sur la nuque, au carquois, aux techniques artisanales du cuir, du métal, des étoffes, à l'écriture et aux fonctions sacrées, au feu, au jugement et au travestisme (dont on sait quel rôle essentiel il joue dans les mythes antiques en rapport avec la Grande Déesse). Tout y passe et elle s'approprie tout.Mais lorsque les brumes de l'alcool commencent à se dissiper, Enki se ressaisit et veut reprendre ses dons. Il lui envoie plusieurs messagers. Elle est furieuse, accuse son "père" de fourberie, de trahison, de mensonge. Elle ne cèdera pas et chargera sur son navire, jusqu'à Uruk sa ville, tous les pouvoirs qu'elle entend conserver. Enki finira par se résigner et lui abandonnera toutes ces "richesses civilisatrices". Il ne restera à Enki qu'à faire alliance avec elle, signer une sorte de traité entre Eridu, sa ville, et uruk, celle d'Inanna, acceptant volontiers qu"Uruk retrouve ainsi sa puissance antérieure", ce qui pose un problème historique dont nous ne connaissons pas la réponse...
4. La descente aux Enfers
L'un des textes les plus connus concernant Ishtar-Inanna est celui de sa descente aux Enfers. Plusieurs versions existent qui "chargent" plus ou moins la déesse, ou qui l'innocentent. On connaissait la version akkadienne, mais ça n'est qu'en 1937 qu'on apprit l'existence d'une version sumérienne. Cette dernière, depuis 1980, s'est enrichie de nouveaux fragments qui, avouons-le, nous contraignent à renoncer à celle qui était favorable à Inanna. Celle-ci était en effet supposée aller aux Enfers pour y rechercher son amant bien-aimé, Tammuz-Dumuzi. Les nouveaux textes la montrent sous un jour bien différent même si après la mort de son amant (dont elle est totalement responasble), elle s'offre le luxe de le pleurer et invente quelque vengeance pour libérer sa conscience.Inanna, cette fois, ne veut pas se rendre sur terre, là où elle a eu sa mésaventure avec le jardinier d'Enki, mais elle veut aller aux Enfers, chez sa soeur qui y règne sans partage. Ses intentions ne sont pas claires; elles ne le seront que pour Ereshkigal, reine des morts, qui perçoit tout de suite les ambitions d'Inanna. La déesse guerrière emporte avec elle les sept Pouvoirs, se coiffe du turban, qui est la couronne de la steppe, elle se fixe au front "ses accroche-coeur", se couvre de bijoux, se pare, se farde, s'enveloppe de son manteau royal. Avant de descendre, elle convoque sa fidèle assistante Ninshubur afin qu'elle se rende chez Enki, chez Enlil, puis chez Nanna et que ces dieux puissants, dans le cas où elle ne serait pas remontée des Enfers au bout de trois jours, fassent le nécessaire pour l'en sortir.Elle descend donc et frappe "d'un poing menaçant" à l'huis du monde d'en bas. Toujours impatiente et impérieuse, elle ne suppose pas qu'on la fasse attendre. Petû, le portier, s'étonne de ce que la Reine du Ciel veuille entrer au Pays sans retour. Elle prétend qu'elle est venue auprès de sa soeur Ereshkigal dont l'époux Gugalanna, le Grand Taureau Céleste, a été tué. Le portier va trouver sa maîtresse, lui décrit la visiteuse, "élevée comme le ciel, plantureuse comme la terre". Ereshkigal est folle de rage; "elle se frappe les cuisses et se mord les lèvres de dépit". Elle ordonne qu'on tire le verrou des sept portes et qu'on lui amène l'intruse, dépouillée de ses ornements et de ses vêtements, nue, c'est-à-dire humiliée et sans défense. Au passage de chaque porte, en effet, quelque chose lui est retiré. "Que signifie?", dit-elle chaque fois, toujours aussi orgueilleuse; et Petû répond :"Les pouvoirs du monde d'en bas sont irréprochables; ne proteste pas contre les rites du monde d'en bas".Alors Inanna se retrouve nue, face à Ereshkigal qui porte sur elle un regard meurtrier. Elle est entourée de ses juges, de ses magistrats et crie contre Inanna "un cri de damnation". Immédiatement, la Grande Déesse est changée en cadavre et suspendue sans égards à un clou.Pendant ce temps et au bout des trois jours fatidiques, l'assistante fidèle d'Inanna entreprend les démarches qui lui ont été commandées par sa maîtresse et elle cherche à attendrir, sans succès, Enlil et Nanna. Chacun d'eux répond que sa fille, après avoir voulu le Ciel, a désiré l'Enfer. Seul Enki, conscient des conséquences sur terre de la disparition de la déesse de l'amour, manifeste son inquiétude. Il décide de venir en aide à cette incorrigible et impétueuse déesse : "Qu'a-t-elle encore fait!" s'écrit-il. Mais il fabrique de ses mains deux créatures, un kalatu et un kungara, de charmants invertis qui s'introduiront sans trop de mal dans la chambre à coucher d'Ereshkigal qu'il s'empresse de rendre malade.Lorsqu'ils auront forcé la porte des Enfers, la Reine sera couchée, la "chevelure rassemblée sur sa tête comme un poireau", et quand elle criera de douleurs, ils devront manifester leur compassion. Lui dire: "Ô notre souveraine dolente, aïe tes membres!", ou "Aïe, tes entrailles!". Les deux invertis seront assez bons comédiens pour émouvoir Ereshkigal; elle leur fait alors le serment de leur offrir "un destin favorable" en plus de libations et de choses agréables mais ils refusent tout. La seule chose qu'ils réclament, c'est le cadavre suspendu à un clou. "Ce cadavre, s'étonne-t-elle, c'est celui de votre souveraine!" Mais elle ne peut se dédire, elle a promis. Alors les deux envoyés d'Enki arrosent le cadavre de breuvage et de nourriture de vie, et Inanna revient à elle. Mais elle ne pourra pas remonter aussi aisément. Les Amunna, les juges, la retiennent : "Qui donc, disent-ils, descendu au Monde d'en bas, en est jamais ressorti quitte?". Elle devra leur remettre un substitut, quelqu'un qui prendra sa place.
5. Mais qui prendra sa place?
La première personne qu'elle rencontre sur terre est Ninshubur, sa fidèle assistante qui se jette à ses pieds. Les démons accompagnant Inanna sont prêts à se jeter sur la pauvre Ninshubur, mais Inanna refuse. C'est grâce à elle qu'elle a été sauvée. Elle refusera de même de laisser sacrifier son ménestrel-coiffeur, et même son capitaine. Lorsqu'ils arriveront devant Duzumi, "installé sur une estrade", confortablement, et qui ne semble guère s'être soucié de la disparition de son amante, elle prononcera le crie de damnation: "C'est lui, emmenez-le!".Dumuzi l'implore en vain; il implore Utu pour qu'il change ses pieds et ses mains en serpents (en gazelles dans une autre version) et pour qu'il puisse ainsi échapper à ses poursuivants. Utu accepte et Dumuzi ira se réfugier chez sa soeur Gestianna; une soeur aimante, si aimante qu'elle suppliera Inanna de l'envoyer chez les morts en lieu et place de son frère. Inanna prendra sa décision : "Toi, ce sera seulement la moitié de l'année et ta soeur, l'autre moitié", dit-elle à son amant.On pense inévitablement ici au mythe de Perséphone et de Déméter... mais le rôle joué par la déesse va à l'encontre de l'interprétation proposée par exemple par E.O James : "Inanna ramena bien en effet avec Doumouzi, depuis les Enfers". De fait, on peut penser qu'elle l'abandonne aux démons parce qu'il ne manifeste pas de remords, qu'il lui demande pas pardon de son insouciance. Mais elle est bel et bien responsable du sacrifice de son amant.Dans une autre version, elle oublie sa promesse à Ereshkigal d'envoyer un substitut et, terrifiée par les démons, elle leur livre Dumuzi. Il cherchera là aussi à s'enfuir, cherchera là refuge auprès de sa soeur, qui sera torturée par les démons mais ne le trahira pas. Dumuzi a eu d'ailleurs le pressentiment de sa fin tragique à travers un songe que sa soeur, désespérée, est bien obligée d'interpréter et de reconnaître comme funeste. À la fin, le malheureux sera repris et emporté par les démons aux Enfers.
6. Des larmes de crocodile
Tout cela n'empêchera pas Inanna de pleurer son "charmant époux", son "chéri délicieux"; longuement, elle se lamentera sur sa mort, sur le fait qu'il n'est plus auprès d'elle.Doit-on la condamner sans appel? Est-elle le monstre sans coeur, égoïste et lâche que ces textes donnent à croire? Nul ne peut répondre car, après tout, nous n'avons peut-être pas toutes les versions en main; certes, Dumuzi a fait preuve de légèreté, n'a rien fait pour s'inquiéter de son amante. Mais savait-il seulement, ce berger, ce pasteur de la steppe, où s'était rendue cette agitée impénitente? Là encore les textes sont muets. Il existe, bien sûr, des versions pour nous dire qu'Ishtar avait agréé Enkidu le fermier et rejeté Dumuzi le pasteur. Cela nous rappelle une vieille histoire de frères ennemis, de Caïns et d'Abels... Ishtar, c'est évident, est une amoureuse passionnée, mais elle n'est guère constante et partage la couche de tous ceux qui lui plaisent, sans trop se soucier de leur sort. Mais son pouvoir est fabuleux car n'est-il pas dit que "seuls furent déifiés les rois que la déesse avait choisis pour partager sa couche?"On songe aux vers de Paul Valéry (dans "La Pléiade") sur la garnde reine Sémiramis qu'on disait fille d'Atargatis (ou l'Athar des Araméens). Diodore de Sicile raconte qu'Aphrodite pour se venger d'une offense de Dercéto (Atargatis) lui aurait faite, aurait inspiré à la déesse d'Ascalon une violente passion pour un jeune homme qui la rendit mère d'une admirable fille, Sémiramis. Les Grecs auraient même confondu Sémiramis avec Rhéa, avec Dercéto ou avec la Déesse syrienne elle-même. Là voici bien, l'orgueilleuse amante, la puissante reine :"Ivre de volupté, aussitôt l'Amant se crût maître. Mais plus mâle est Sémiramis! La Colombe l'offre aux vautours...[...]¸J'ai donné à chacun sa pâture; ma nuit à la chair, Mais chair à l'Amour; l'Amour à la mort..."
Pauvre amant, pauvre Dumuzi... malheur à lui, en effet, s'il s'est cru maître de la déesse de l'amour!
Selon qu'on se réfère aux mythes sumériens ou akkadiens, elle prend les noms d'Ishtar ou d'Inanna, fille d'Anou et/ou de Sin. On la confond avec l'Astarté des Phéniciens, l'Anat des Sémites, l'Héra Syrienne ou l'Aphrodite, appelée elle-même tantôt Cybèle ou Atargatis. Lucien de Samosate dit en outre : "Il existe aussi en Phénicie un autre grand sanctuaire, appartenait aux Sidoniens. Il est, à ce qu'ils disent, consacré à Astarté. Mais je crois quant à moi que cette Astarté n'est point autre que Séléné". Astarté est en effet l'une des plus anciennes et magnifiques déesses des Sémites. On la trouve aussi sous le nom d'Ashtoreth chez les Cananéens. Et Mario Meunier, dans sa traduction de Lucien de Samosate, rappelle qu'Astarté a "plus d'un rapport avec l'Ishtar babylonienne, divinité de la guerre et de la fécondité, voluptueuse et belliqueuse à la fois, déification de la planète Vénus, qu'on voit tantôt le matin tantôt le soir et qui, à ce titre, était aussi considérée comme tantôt mâle, tantôt femelle".Comme on peut l'imaginer, il n'est pas toujours facile de rendre à César ce qui lui est dû et à Ishtar ce qui la définit.Pourtant Ishtar a sa personnalité bien spécifique et qu'on l'appelle ainsi ou Inanna, on ne peut la confondre avec une autre. Qu'il y ait synchrétisme, assimilation, on en conviendra. Mais il existe sur Ishtar suffisamment de textes aujourd'hui déchiffrés pour qu'on soit en mesure de comprendre le personnage, qu'on renonce à en faire une déesse "mère", mais qu'on la reconnaisse comme déesse de l'amour, de la volupté, de la liberté. En cela, elle est plus proche d'Aphrodite ou de Delebat (autre nom de Vénus) que d'Isis ou de Déméter; ou plus proche de Cybèle.On pourrait être tenté de mettre sur le compte de son androgynat et sur la partie masculine de celui-ci ses tendances belliqueuses, son âme guerrière et exaltée, sa passion pour les armes. Ce serait certainement déloyal à l'égard des hommes, car elle semble fort bien assumer sa nature fière, orgueilleuse, impérieuse et séductrice en même temps. Elle est "à la fois" déesse de l'amour et de la guerre, comme Anat la Sémite sera à la fois "déesse de l'amour et du carnage". Et cette dernière mérite bien, elle aussi, un bref détour...
1. La Grande Barbare
Ishtar n'est pas un ange. Capricieuse, peut-être infidèle, armée d'une volonté de fer, ne pardonnant aucune injure, capable de pousser à l'extrême sa vengeance pour peu qu'elle soit offensée, elle est cependant capable de compassion, de pitié pour les créatures terrestres; elle peut les plaindre lorsqu'une calamité les éprouve... ce qui ne l'empêche pas, de temps en temps, dans sa colère, d'envoyer aux hommes quelques redoutables épreuves!Elle est aussi cruelle, pleine de mépris de morgue. Tout comme Cybèle, et en tant que déesse de l'amour libre - et non du mariage - ses rites attireront l'attention par leur caractère licencieux, dit-on pudiquement, alors qu'on peut à bon droit parler d'orgies et de désordres, tout comme les suivants de Cybèle défraieront la chronique grecque et romaine.Jean Bottéro (Quand les dieux faisaient l'homme, Bottéro & Kramer) dit très justement que "sa personnalité est devenue si exubérante et envahissante que presque toutes les anciennes déesses ont en fin de compte pâli et se sont pratiquement effacées devant elle. Son nom a fini par s'entendre comme a potiori, étant de la nature divine au féminin". Plus de quinze grands sanctuaires, ici et là, lui ont été consacrés, et cela dès l'époque paléo-babylonienne et donc au cours de la première moitié du IIe millénaire :
"Je célèbre la très haute,la plus vaillante des dieux!
De la fille de Ningal
j'exalte la puissance.
Oui, d'Ishtar la très haute,
la plus vaillante des dieux,
la fille de Ningal,
je redis la puissance!
Fameux sont ses exploits
Ses menées sibyllines!
Elle est toujours à guerroyer
et d'une activité déconcertante!
Devant dieux et rois, elle tournoie (valse) de toute sa virilité! [...]
Istar l'extravagante
s'entend à terrasser!
Sa fête, c'est guerroyer,
d'entrechoquer les combattants
Son enthousiasme à batailler
Révèlent sa vraie nature! [...]
On lui a remis l'univers!
On l'a dotée d'un mâle courage, d'exploits et de vigueur! [...]
On ne peut la tenir en laisse,
Elle s'échapperait, elle est trop forte!"
Comment la comparer aux tendres déesses de la maternité? Ce qu'elle aime, la chose est explicitée, c'est se battre, trucider ses ennemis et aussi, parce qu'elle en a le goût sauvage, faire l'amour, consommer des amants. Gilgamesh le lui reprochera d'ailleurs avec assez de violence, alors qu'elle lui fait des avances, ne voulant pas connaître le sort des victimes de cette Antinéa. Il lui dit en substance : " Tammoux (ou Dummuzi), le chéri de ton jeune âge, tu lui as enseigné une déploration funèbre annuelle"; le reproche est ici à peine voilé, car Ishtar est bel et bien responsable de la mort de son amant, de son premier amour, du "chéri de son jeune âge". Et Gilgamesh de clore une longue liste par ces mots : "Alors, moi aussi, si tu m'aimes, tu me traiteras donc comme eux!..."
Si on en croit l'histoire d'Inanna-Ishtar et du jardinier Sukaleduta, il n'a pas tort et craint les effets fatals des étreintes de la déesse, qu'elle soit ou non consentante. D'ailleurs, sur cette dernière légende deux versions existent. L'une fait d'Inanna une victime surprise par un jardinier lubrique, et l'autre fait d'elle la "dévoreuse" qui se venge du refus du jardinier. Comment trancher?
2. Le jardinier amoureux
Dans l'une des versions où elle est victime, nous apprenons qu'elle décide de faire un tou r sur terre. De toute façon, elle est d'humeur voyageuse, conquérante, et cherche soit à étendre en permanence son réseau d'influence, soit à vérifier de près ce qui se passe chez les humains.Ainsi descend-elle sur terre, montée sur un puissant auroch céleste puis chevauchant un énorme lion terrestre. Enki, sur terre, a créé le palmier-dattier mais par la faute du vent, son jardinier, Sukaletuda, voit ses plantations détruites. Il a beau créer des coupe-vents, planter des arbres serrés et ombreux, le désordre est partout dans la végétation. La déesse, la "hériodule fourbue", arrive au jardin; fatiguée elle s'étend et s'endort. En guise de cache-sexe, elle avait disposé devant elle la ceinture des sept pouvoirs. Mais Sukaletuda l'avait épiée: "Il détacha le pagne protecteur, la baisa et la pénétra". On notera au passage que les Mésopotamiens ont tendance à appeler un chat un chat, sans pudeur excessive... Lorsqu'elle se réveille, elle comprend que "son sexe a été outragé", cherche son agresseur, bien décidée à se venger; elle ne le trouve pas. De rage, elle change toute l'eau des puits et des réservoirs en sang (ce qui laisse entendre qu'elle provoque une guerre) puis d'autres catastrophes, de tornades, etc. Le jardinier va trouver Enki et lui demander conseil. Ce dieu sage recommande alors - et cela à trois reprises - d'aller se cacher à la ville, parmi ses semblables. Ainsi ne le retrouvera-t-elle pas. Après avoir lancé toutes sortes de charmes maléfiques, elle a l'idée à son tour d'aller trouver Enki, supposant que le jardinier est allé le voir. Elle demande alors à Enki de lui livrer son agresseur et le dieu lui remet l'homme contre la promesse qu'elle l'emmènera sain et sauf. Ce qu'elle fait. Mais devant le peu de remords manifestés par Sukaletuda, elle le condamnera à devenir "de plus en plus petit", et on peut supposer qu'elle le change en crapaud!
3. Déesse d'Uruk
Jean Bottéro pense - et cela est convaincant - qu'elle vient des steppes sauvages, mais qu'estimant mériter mieux, elle demande à Enki, le dieu suprême, les éléments de culture et de progrès qui manquent à son peuple d'Uruk.Ishtar-Inanna est de la race des grandes déeses et elle sait s'imposer, même aux plus grands dieux. Notamment à Enki. Un jour où celui-ci partage avec elle la bière et le vin, après avoir "trinqué à qui mieux mieux au Ciel et à la Terre", il offre à sa "fille" Inanna des pouvoirs innombrables. Et la déesse accepte bien volontiers les présents qu'il lui propose spontanément alors qu'elle avait sans doute en tête de les lui réclamer. Mais elle sait y faire et il ne faut pas perdre de vue que c'est une grande séductrice: même les dieux les plus sages sont sensibles à ses charmes. Inanna prend donc tous les pouvoirs offerts, plus de cent, qui vont de l'art du chant à l'office d'anciens, au sceptre et au noble manteau, au poignard et à la matraque, à l'érotisme et au baiser, à la chevelure nouée sur la nuque, au carquois, aux techniques artisanales du cuir, du métal, des étoffes, à l'écriture et aux fonctions sacrées, au feu, au jugement et au travestisme (dont on sait quel rôle essentiel il joue dans les mythes antiques en rapport avec la Grande Déesse). Tout y passe et elle s'approprie tout.Mais lorsque les brumes de l'alcool commencent à se dissiper, Enki se ressaisit et veut reprendre ses dons. Il lui envoie plusieurs messagers. Elle est furieuse, accuse son "père" de fourberie, de trahison, de mensonge. Elle ne cèdera pas et chargera sur son navire, jusqu'à Uruk sa ville, tous les pouvoirs qu'elle entend conserver. Enki finira par se résigner et lui abandonnera toutes ces "richesses civilisatrices". Il ne restera à Enki qu'à faire alliance avec elle, signer une sorte de traité entre Eridu, sa ville, et uruk, celle d'Inanna, acceptant volontiers qu"Uruk retrouve ainsi sa puissance antérieure", ce qui pose un problème historique dont nous ne connaissons pas la réponse...
4. La descente aux Enfers
L'un des textes les plus connus concernant Ishtar-Inanna est celui de sa descente aux Enfers. Plusieurs versions existent qui "chargent" plus ou moins la déesse, ou qui l'innocentent. On connaissait la version akkadienne, mais ça n'est qu'en 1937 qu'on apprit l'existence d'une version sumérienne. Cette dernière, depuis 1980, s'est enrichie de nouveaux fragments qui, avouons-le, nous contraignent à renoncer à celle qui était favorable à Inanna. Celle-ci était en effet supposée aller aux Enfers pour y rechercher son amant bien-aimé, Tammuz-Dumuzi. Les nouveaux textes la montrent sous un jour bien différent même si après la mort de son amant (dont elle est totalement responasble), elle s'offre le luxe de le pleurer et invente quelque vengeance pour libérer sa conscience.Inanna, cette fois, ne veut pas se rendre sur terre, là où elle a eu sa mésaventure avec le jardinier d'Enki, mais elle veut aller aux Enfers, chez sa soeur qui y règne sans partage. Ses intentions ne sont pas claires; elles ne le seront que pour Ereshkigal, reine des morts, qui perçoit tout de suite les ambitions d'Inanna. La déesse guerrière emporte avec elle les sept Pouvoirs, se coiffe du turban, qui est la couronne de la steppe, elle se fixe au front "ses accroche-coeur", se couvre de bijoux, se pare, se farde, s'enveloppe de son manteau royal. Avant de descendre, elle convoque sa fidèle assistante Ninshubur afin qu'elle se rende chez Enki, chez Enlil, puis chez Nanna et que ces dieux puissants, dans le cas où elle ne serait pas remontée des Enfers au bout de trois jours, fassent le nécessaire pour l'en sortir.Elle descend donc et frappe "d'un poing menaçant" à l'huis du monde d'en bas. Toujours impatiente et impérieuse, elle ne suppose pas qu'on la fasse attendre. Petû, le portier, s'étonne de ce que la Reine du Ciel veuille entrer au Pays sans retour. Elle prétend qu'elle est venue auprès de sa soeur Ereshkigal dont l'époux Gugalanna, le Grand Taureau Céleste, a été tué. Le portier va trouver sa maîtresse, lui décrit la visiteuse, "élevée comme le ciel, plantureuse comme la terre". Ereshkigal est folle de rage; "elle se frappe les cuisses et se mord les lèvres de dépit". Elle ordonne qu'on tire le verrou des sept portes et qu'on lui amène l'intruse, dépouillée de ses ornements et de ses vêtements, nue, c'est-à-dire humiliée et sans défense. Au passage de chaque porte, en effet, quelque chose lui est retiré. "Que signifie?", dit-elle chaque fois, toujours aussi orgueilleuse; et Petû répond :"Les pouvoirs du monde d'en bas sont irréprochables; ne proteste pas contre les rites du monde d'en bas".Alors Inanna se retrouve nue, face à Ereshkigal qui porte sur elle un regard meurtrier. Elle est entourée de ses juges, de ses magistrats et crie contre Inanna "un cri de damnation". Immédiatement, la Grande Déesse est changée en cadavre et suspendue sans égards à un clou.Pendant ce temps et au bout des trois jours fatidiques, l'assistante fidèle d'Inanna entreprend les démarches qui lui ont été commandées par sa maîtresse et elle cherche à attendrir, sans succès, Enlil et Nanna. Chacun d'eux répond que sa fille, après avoir voulu le Ciel, a désiré l'Enfer. Seul Enki, conscient des conséquences sur terre de la disparition de la déesse de l'amour, manifeste son inquiétude. Il décide de venir en aide à cette incorrigible et impétueuse déesse : "Qu'a-t-elle encore fait!" s'écrit-il. Mais il fabrique de ses mains deux créatures, un kalatu et un kungara, de charmants invertis qui s'introduiront sans trop de mal dans la chambre à coucher d'Ereshkigal qu'il s'empresse de rendre malade.Lorsqu'ils auront forcé la porte des Enfers, la Reine sera couchée, la "chevelure rassemblée sur sa tête comme un poireau", et quand elle criera de douleurs, ils devront manifester leur compassion. Lui dire: "Ô notre souveraine dolente, aïe tes membres!", ou "Aïe, tes entrailles!". Les deux invertis seront assez bons comédiens pour émouvoir Ereshkigal; elle leur fait alors le serment de leur offrir "un destin favorable" en plus de libations et de choses agréables mais ils refusent tout. La seule chose qu'ils réclament, c'est le cadavre suspendu à un clou. "Ce cadavre, s'étonne-t-elle, c'est celui de votre souveraine!" Mais elle ne peut se dédire, elle a promis. Alors les deux envoyés d'Enki arrosent le cadavre de breuvage et de nourriture de vie, et Inanna revient à elle. Mais elle ne pourra pas remonter aussi aisément. Les Amunna, les juges, la retiennent : "Qui donc, disent-ils, descendu au Monde d'en bas, en est jamais ressorti quitte?". Elle devra leur remettre un substitut, quelqu'un qui prendra sa place.
5. Mais qui prendra sa place?
La première personne qu'elle rencontre sur terre est Ninshubur, sa fidèle assistante qui se jette à ses pieds. Les démons accompagnant Inanna sont prêts à se jeter sur la pauvre Ninshubur, mais Inanna refuse. C'est grâce à elle qu'elle a été sauvée. Elle refusera de même de laisser sacrifier son ménestrel-coiffeur, et même son capitaine. Lorsqu'ils arriveront devant Duzumi, "installé sur une estrade", confortablement, et qui ne semble guère s'être soucié de la disparition de son amante, elle prononcera le crie de damnation: "C'est lui, emmenez-le!".Dumuzi l'implore en vain; il implore Utu pour qu'il change ses pieds et ses mains en serpents (en gazelles dans une autre version) et pour qu'il puisse ainsi échapper à ses poursuivants. Utu accepte et Dumuzi ira se réfugier chez sa soeur Gestianna; une soeur aimante, si aimante qu'elle suppliera Inanna de l'envoyer chez les morts en lieu et place de son frère. Inanna prendra sa décision : "Toi, ce sera seulement la moitié de l'année et ta soeur, l'autre moitié", dit-elle à son amant.On pense inévitablement ici au mythe de Perséphone et de Déméter... mais le rôle joué par la déesse va à l'encontre de l'interprétation proposée par exemple par E.O James : "Inanna ramena bien en effet avec Doumouzi, depuis les Enfers". De fait, on peut penser qu'elle l'abandonne aux démons parce qu'il ne manifeste pas de remords, qu'il lui demande pas pardon de son insouciance. Mais elle est bel et bien responsable du sacrifice de son amant.Dans une autre version, elle oublie sa promesse à Ereshkigal d'envoyer un substitut et, terrifiée par les démons, elle leur livre Dumuzi. Il cherchera là aussi à s'enfuir, cherchera là refuge auprès de sa soeur, qui sera torturée par les démons mais ne le trahira pas. Dumuzi a eu d'ailleurs le pressentiment de sa fin tragique à travers un songe que sa soeur, désespérée, est bien obligée d'interpréter et de reconnaître comme funeste. À la fin, le malheureux sera repris et emporté par les démons aux Enfers.
6. Des larmes de crocodile
Tout cela n'empêchera pas Inanna de pleurer son "charmant époux", son "chéri délicieux"; longuement, elle se lamentera sur sa mort, sur le fait qu'il n'est plus auprès d'elle.Doit-on la condamner sans appel? Est-elle le monstre sans coeur, égoïste et lâche que ces textes donnent à croire? Nul ne peut répondre car, après tout, nous n'avons peut-être pas toutes les versions en main; certes, Dumuzi a fait preuve de légèreté, n'a rien fait pour s'inquiéter de son amante. Mais savait-il seulement, ce berger, ce pasteur de la steppe, où s'était rendue cette agitée impénitente? Là encore les textes sont muets. Il existe, bien sûr, des versions pour nous dire qu'Ishtar avait agréé Enkidu le fermier et rejeté Dumuzi le pasteur. Cela nous rappelle une vieille histoire de frères ennemis, de Caïns et d'Abels... Ishtar, c'est évident, est une amoureuse passionnée, mais elle n'est guère constante et partage la couche de tous ceux qui lui plaisent, sans trop se soucier de leur sort. Mais son pouvoir est fabuleux car n'est-il pas dit que "seuls furent déifiés les rois que la déesse avait choisis pour partager sa couche?"On songe aux vers de Paul Valéry (dans "La Pléiade") sur la garnde reine Sémiramis qu'on disait fille d'Atargatis (ou l'Athar des Araméens). Diodore de Sicile raconte qu'Aphrodite pour se venger d'une offense de Dercéto (Atargatis) lui aurait faite, aurait inspiré à la déesse d'Ascalon une violente passion pour un jeune homme qui la rendit mère d'une admirable fille, Sémiramis. Les Grecs auraient même confondu Sémiramis avec Rhéa, avec Dercéto ou avec la Déesse syrienne elle-même. Là voici bien, l'orgueilleuse amante, la puissante reine :"Ivre de volupté, aussitôt l'Amant se crût maître. Mais plus mâle est Sémiramis! La Colombe l'offre aux vautours...[...]¸J'ai donné à chacun sa pâture; ma nuit à la chair, Mais chair à l'Amour; l'Amour à la mort..."
Pauvre amant, pauvre Dumuzi... malheur à lui, en effet, s'il s'est cru maître de la déesse de l'amour!