Kali, ma Mère, tu m'as longtemps effrayée.
Non par ton apparence, non par ce que je connaissais de toi, mais parce que ce que je connaissais de toi était si peu comparativement à ce qu'il me restait à apprendre de toi - et ce qu'il me reste encore à apprendre. Tu es géante, gigantesque, cosmique, transcendante, omniprésente, omnipotente, tout, rien. Kali, ma Mère, j'ai longtemps eu peur d'apprendre à te connaître et à t'aimer. Peur de voir mes racines, mes bases, s'effondrer, peur de devoir redéfinir, tout réapprendre, tout repenser et refaire.
Une fois mon coeur ouvert à ta voix, tu as fait germer en moi les grains du potentiel qui dormait à l'intérieur. Tu m'as réveillée.
J'ai eu peur, Maa, que celle que j'étais ne serait pas assez pour toi, j'ai eu peur de ne pas être à la hauteur. Mêler ma spiritualité éclatée et les traditions dans lesquelles l'on t'honore m'apparaissait compliqué, car ces traditions, je les percevais comme inatteignables, incompréhensibles à mes yeux d'Occidentale. Elles ne me sont pas faciles d'approche, je ne les saisis pas toujours très bien, quoique chaque jour un peu mieux toutefois, mais ça n'a pas d'importance.
J'ai eu peur, Maa, parce qu'Ishtar m'accompagnait depuis des années. J'ai eu peur qu'elle ne m'abandonne en raison de mon amour, de ma passion pour toi. J'étais effrayée que tu prennes toute la place, de ne plus la ressentir comme avant. J'ai eu peur que tout le travail que j'avais fait avec elle ne me serait d'aucune utilité dans le travail que je ferais à tes côtés. Que je ne pourrais plus aimer d'autres déesses après toi.
En fait, j'ai plutôt découvert qu'Ishtar m'y avait préparée. Loin d'être incompatible comme je l'avais d'abord cru, le chemin arpenté aux côtés d'Ishtar se mêle harmonieusement à celui que je marche avec toi. Je n'ai plus aucun doute. Je continue d'aimer ma Ishtar, d'être inspirée par elle au quotidien et de sentir que ma mission de prêtresse, engagée auprès d'elle, garde son sens, sinon prend encore davantage de sens avec toi.
Je ne sais pas si je serai un jour ta prêtresse, car je ne sais pas encore comment, ni c'est ce que tu voudrais de moi, je ne ressens pas cet appel pour l'instant. Mais ça n'a pas d'importance. J'en aurais peut-être envie, mais je ne ressens pas l'urgence de tatouer ton nom ou ton visage sur mon corps, de dédier une pièce de ma demeure à ton culte, d'offrir quelque service à ma communauté pour te prouver quoi que ce soit. Pour l'instant, chaque cellule de mon corps porte ton nom, chaque battement de mon coeur le chante, mon coeur est ton temple, mon corps est ton temple et ma vie ton culte, dans l'instant présent, dans ses difficultés, sa laideur, sa trivialité comme dans ses moments de passion dévorante, sa beauté, ses instants sacrés. Il n'y a pas de différence. Tu es en toute chose, à tout instant. Tu es Devi, Shakti, Maa, Dea, la Grande Déesse. Le visage et le nom que je lui donne. Servir Ishtar est aussi te servir. Honorer les femmes et le féminin sacré, c'est aussi t'honorer. Cultiver l'amour de soi et des autres, ouvrir son esprit et son coeur, détruire les illusions, les idées préconçues et concepts désuets, c'est te comprendre et te vivre.
Jai Maa Kali!
- Crédit image : A Yogini's encounter with goddess Kali par Kailash Raj