:: Inanna : Déesse de variété infinie
Traduit et adapté par Ishara Labyris du texte "Inanna, Goddess of "Infinite Variety" de Johanna Stuckey
Sur la Terre de Sumer [1], Inanna était une déesse puissante et affirmée, dont les sphères d'influences incluaient l'art de la guerre, l'amour et la sexualité, la prospérité et la fertilité. En tant que "Dame qui Monte aux Cieux", elle était l'Étoile Vénus. Un de ses épithètes communs était "la jeune fille", et ses rôles habituels - petite soeur et fille coquine, petite-amie, épouse nubile, et jeune veuve frappée par le chagrin - tous la présentent dans son adolescence tardive, toujours dans la plénitude de sa féminité, mais pas encore attachée à une vie d'épouse. Ce n'est pas surprenant, alors, qu'Inanna était une femme qui vivait comme un mâle, "vivant essentiellement la même existence que les jeunes hommes", exultant dans les combats et recherchant des expériences sexuelles (Frymer-Kensky 1992:29). De plus, les textes mésopotamiens se réfèrent normalement à elle en tant que "la femme" ou "une femme", et même lorsqu'il l'appelle "guerrière", elle est encore "la femme" (Stuckey 2001:92).[2]
Le grand expert américain de Sumer et de tout ce qui est relié aux Sumériens, Samuel Noah Kramer, décrit Inanna comme "... une déesse de l'amour ambitieuse, agressive et exigeante..." (1963:153).
À l'époque, elle était certainement une déesse d'amour et de sexualité, mais elle tenait également et pouvait conférer lesmes, les attributs de la civilisation [3].
Elle régnait sur plusieurs domaines de la culture. Selon Thorkild Jacobsen, ceux-ci incluaient "le magasin/entrepôt" (1976:135), "les pluies" (136), "la guerre" (137), "les Étoiles du Matin et du Soir" (138), et ce qu'il appelle en anglais "harlotry", la prostitution (Jacobsen 139). D'Inanna, il dit :
Dans les épopées et les mythes, Inanna est une belle aristocrate, jeune et pleine de volonté. Nous la voyons comme jeune soeur charmante, mais un peu difficile (soeur du Dieu Soleil), comme une fille grandissante (fille du Dieu Lune)..., et un souci pour ses aînés... Nous la voyons comme une amoureuse, une mariée heureuse, et une jeune veuve peinée. Nous la voyons, en effet, dans tous les rôles qu'une femme peut remplir, exceptés ceux nécessitant davantage de maturité et de sens de responsabilité. Elle n'est jamais représentée comme une épouse, une compagne ou une mère (Jacobsen 1976: 141)[4]
Cette description d'Inanna inclut plusieurs de ses aspects, mais tous les rôles que Jacobsen décrit sont ceux qui rattachent la femme aux hommes dans les liens d'une famille patriarcale et qui ainsi contrôle sa sexualité et son habileté reproductrice. La spécialiste et féministe Tikva Frymer-Kensky voit Inanna différemment : Inanna était le modèle divin d'un rôle qui n'était pas considéré socialement désirable. "Elle représente la femme non-domestiquée, et elle illustre toute la peur et le désir qu'une telle femme peut provoquer" (1992:25). Elle est une femme qui n'est pas liée à la famille patriarcale, dont la sexualité n'est pas contrôlée pour les fins de celle-ci. De plus, Inanna est l'esprit redoutable de "l'attraction nécessaire pour toute copulation sexuelle, indépendamment de sa valeur ou raison sociale". Néanmoins, en dépit d'être déesse de prostituées, Inanna était, comme la déesse Ishara, également "patronne de la sexualité matrimoniale" (47-48).
Alors que Inanna semble avoir été la principale divinité féminine de la culture sumérienne dominée par l'homme, une déesse similaire, Ishtar, était vénérée par les peuples sémites du nord (Kramer 1983: 115, 123). Depuis les premiers temps, Inanna et Ishtar devinrent de plus en plus identifiées l'une à l'autre, jusqu'à ce que, à l'époque de Sargon d'Akkad (environ 2300 avant l'ère chrétienne), elles étaient si similaires que, en parlant d'elles, les spécialistes les traitent comme si elles n'étaient qu'une seule divinité : Inanna-Ishtar. Lentement, Inanna, et sa "variété infinie", laissa place à Ishtar, dont les fonctions primaires étaient amour/sexualité et guerre. Finalement, avec le premier millénaire et plus tard, chez les Assyriens, seule Ishtar demeura. Nous pouvons voir un peu d'Inanna dans la Ishtar tardive, mais, dans sa forme finale, Ishtar semble une déesse très différente.
Certains font valoir que l'assimilation des deux déesses était en partie le résultat de la politique de Sargon d'Akkad, cité mentionnée dans la Bible, qui a conquéri Sumer et la majorité de Asie occidentale (Kramer 1983 :117). Pendant un temps, il tenta d'unifier toute la Mésopotamie sous son gouvernement (Meador 2000:41). Afin de l'aider à contrôler "les populations rebelles et sans repos des citées au sud de Sumer" (Meador 2000: 49), Sargon nomma sa fille accomplie Enheduanna comme grande prêtresse et par ce fait, épouse du dieu lune Nanna, divinité tutélaire de la cité d'Ur, une des plus importantes de Sumer. Pendant plus de quarante ans, elle occupa cette fonction sacerdotale (Meador 2000: 6). Sur le dos du désormais célèbre disque trouvé dans les années 1920 à l'intérieur du complexe de Nanna, près de la résidence de la grande prêtresse de Ur, une inscription qui nomme Enheduanna en tant que "épouse de Nanna, fille de Sargon" et qui dédit le disque à Inanna (Meador 2000:37).
En tant que titulaire d'un poste ancien et vénéré, Enheduanna exerçait un grand pouvoir sur les Sumériens (Meador 2000: 49). Toutefois, elle est aujourd'hui reconnue d'abord pour avoir été une grande poète, en fait, comme la première poète dont l'histoire nous ait rapporté le nom. Les quarante-deux poèmes qu'elle écrivit pour les temples partout dans les environs "propagèrent son influence et ses croyances..." (Meador 2000: 50). Plus tard, ses trois poèmes à la déesse Inanna "définirent effectivement une nouvelle hiérarchie des dieux" et aida Sargon à identifier Inanna avec Ishtar (Meador 2000:51). Durant ce temps, lorsque les Akkadiens de langue sémite contrôlaient la Mésopotamie (2334-2154 avant l'ère chrétienne), la fusion d'Inanna avec Ishtar se poursuivait (Williams-Forte 1983 : 189). Les symboles d'Inanna apparaissent sur les plus anciens sceaux mésopotamiens (Adams 1966 : 12), et elle est la première déesse à propos de laquelle nous avons des documents écrits (Hallo & Van Dijk 1968). Toutefois, il est clair qu'elle n'est pas venue à l'existence avec l'invention de l'écriture. À travers la Mésopotamie, les archéologues ont trouvé grand nombre de figurines féminines, datant du début du 6e millénaire avant l'ère chrétienne. Certaines, qui pourraient être précurseures d'Inanna, présentent des poitrines proéminentes et leurs mains en-dessous de leurs seins, comme pour les soulever, un geste employé plus tard par plusieurs déesses, parmi elles Inanna. Dans Symbols of Prehistoric Mesopotamia, Beatrice L. Godd retrace les symboles mésopotamiens de la période Néolithique à la période historique. Dans son étude des différents symboles et figurines, elle conclut que l'intérêt principal des anciens mésopotamiens était la fertilité (1963 :21), qui fut plus tard un des domaines d'intérêt d'Inanna.
Dans les temps historiques, l'animal sacré d'Inanna-Ishtar était le lion, sur lequel la déesse se tenait, debout, ou qu'elle contrôlait. Souvent ailée, Inanna-Ishtar était aussi liée aux oiseaux, comme l'Oiseau-Tonerre et particulièrement la chouette (Lipinkivi 2004: 140).
En tant que Reine ou Dame du Ciel, elle était l'Étoile du Matin et l'Étoile du Soir, la planète Vénus, et en tant que fille du dieu lune, Inanna était également liée à la lune croissante et à la pleine lune (Lapinkivi 2004 : 60,111). Un symbole indubitable d'Inanna-Ishtar était l'étoile à huit branches ou rosette, signifiant son identification avec la planète Vénus (Williams-Forte 1983:187). Un symbole significatif d'Inanna était une paire de mâts, habituellement appelés portails, qui apparait très tôt dans les archives archéologiques (Goff 1963:84). Ils représentaient à la fois la présence de la déesse et l'entrée de son temple (Williams-Forte 1983:188; Wolkstein & Kramer 1983: 47, 106).
La cité primordiale d'Inanna en Mésopotamie était Uruk, un des premiers centres urbains du monde. Le plus ancien temple préservé d'Uruk est l'enceinte sacrée d'Inanna, le E-anna, la "Demeure du Ciel". Les archéologues y ont trouvé quelques unes des plus anciennes écritures sur tablettes d'argile (William-Forte 1983 : 174-175). En tant que protectrice de la cité, Inanna en était la propriétaire originelle (Steinkeller 1996:113). Elle était également la divinité tutélaire de nombreuses autres cités, et avec le temps, plusieurs autres déesses furent assimilés avec elle. À travers le rituel connu comme le "Mariage Sacré", duquel je parlerai dans un autre texte, Inanna accordait son pouvoir au souverain d'Uruk et assurait ainsi la fertilité et la prospérité de la terre et de son peuple. Le rite du Mariage Sacré s'est étendu d'Uruk aux autres cités de Mésopotamie et devint un des rituels central mésopotamien pour couronner un roi. Inanna-Ishtar est de loin la déesse sur laquelle on a le plus écrit dans les textes mésopotamiens. À juger par la quantité de matériel trouvé, elle était très populaire, bien que, évidemment, ce qui nous est parvenu à propos d'elle était sans doute une question de chance. Un des poèmes majeurs parlant d'Inanna est "La Descente d'Inanna (aux Enfers)", une grande oeuvre de la littérature mondiale; j'analyserai cela dans un autre texte. D'autres écrits dans lesquels Inanna est la figure centrale sont : "Inanna et l'Arbre Huluppu", que j'analyserai également dans un autre texte; "Inanna et le Dieu de Sagesse"; des chansosn et poèmes liés au Mariage Sacré; et des hymnes à Inanna écrits par Enheduanna et d'autres poètes (Wolkstein & Kramer 1983: 4-110).
Malgré les points de vue des spécialistes sur sa "variété infinie" et sa nature contradictoire, il n'est pas question que les Sumériens aient vu Inanna comme une seule divinité. Donc, il y a dû avoir un facteur qui a unifié ses différents rôles et fonctions. Il y avait son pouvoir de gardienne d'entrepôt et son pouvoir de faire tomber la pluie; l'esprit de bataille et de l'art de la guerre; l'Étoile du Matin et l'Étoile du Soir; l'impulsion pour le sexe et la sexualité, pas seulement celle de la prostituée mais aussi la sexualité conjugale; déesse d'amour; porteuse de fertilité; adolescence perpétuelle; féminité non domestiquée. La réponse est une allusion à un de ses symboles. Les oiseaux s'envolent à travers le ciel, et vivent également sur la terre, et ainsi traversent les frontières - en fait, les oiseaux vivent dans une situation limite. Inanna-Ishtar est également une franchisseuse de frontières - une femme qui se comporte comme un homme. Elle est souvent représentée comme androgyne; mais en plus, plusieurs de ses fidèles étaient des "travesties et des castrés" (Lipinkivi 2004: 159). Tous ses aspects et fonctions variés impliquent la transition, le passage entre des frontières et la transformation - la nourriture et les grains gardés dans l'entrepôt semblant morts, mais vivants, et qui se transforment en autre chose; la pluie qui rend fertile ce qui est infertile et inversement. Sur les champs de bataille, la fortune change et des gens meurent - l'ultime transformation. Y-a-t-il un endroit plus approprié pour la Dame de Transformation que sur un champ de bataille ! L'Étoile du Matin et l'Étoile du Soir annoncent le changement: elles apparaissent entre l'obscurité et la lumière, et entre la lumière et de l'obscurité. L'amour, la sexualité et le rapport sexuel - tous des manières importants pour les êtres humains de changer. Pas de doute qu'Inanna-Ishtar est la déesse patronne du sexe, de la sexualité et de l'amour! L'adolescence est une période de transition - une femme non-domestiquée n'a pas de lieu fixe. Pas plus qu'une prostituée. Les deux sont des franchisseuses de frontières.
Ainsi, Inanna est une déesse du sexe, une déesse d'amour et une déesse de guerre, mais elle était bien plus. Bien qu'elle était une déesse "de variété infinie", elle n'était pas, toutefois, une divinité contradictoire, mais une divinité unifiée. Ce qui unifie Inanna est le changement - la transformation et la transition. Elle est l'entrée et la sortie, la porte et le portail. Quel symbole serait plus approprié pour elle que celui du portail? À jamais une adolescente au seuil de sa pleine féminité, la jeune Inanna est le seuil éternel à travers tout doit passer pour accomplir le cycle qu'est la vie.
Notes
Sur la Terre de Sumer [1], Inanna était une déesse puissante et affirmée, dont les sphères d'influences incluaient l'art de la guerre, l'amour et la sexualité, la prospérité et la fertilité. En tant que "Dame qui Monte aux Cieux", elle était l'Étoile Vénus. Un de ses épithètes communs était "la jeune fille", et ses rôles habituels - petite soeur et fille coquine, petite-amie, épouse nubile, et jeune veuve frappée par le chagrin - tous la présentent dans son adolescence tardive, toujours dans la plénitude de sa féminité, mais pas encore attachée à une vie d'épouse. Ce n'est pas surprenant, alors, qu'Inanna était une femme qui vivait comme un mâle, "vivant essentiellement la même existence que les jeunes hommes", exultant dans les combats et recherchant des expériences sexuelles (Frymer-Kensky 1992:29). De plus, les textes mésopotamiens se réfèrent normalement à elle en tant que "la femme" ou "une femme", et même lorsqu'il l'appelle "guerrière", elle est encore "la femme" (Stuckey 2001:92).[2]
Le grand expert américain de Sumer et de tout ce qui est relié aux Sumériens, Samuel Noah Kramer, décrit Inanna comme "... une déesse de l'amour ambitieuse, agressive et exigeante..." (1963:153).
À l'époque, elle était certainement une déesse d'amour et de sexualité, mais elle tenait également et pouvait conférer lesmes, les attributs de la civilisation [3].
Elle régnait sur plusieurs domaines de la culture. Selon Thorkild Jacobsen, ceux-ci incluaient "le magasin/entrepôt" (1976:135), "les pluies" (136), "la guerre" (137), "les Étoiles du Matin et du Soir" (138), et ce qu'il appelle en anglais "harlotry", la prostitution (Jacobsen 139). D'Inanna, il dit :
Dans les épopées et les mythes, Inanna est une belle aristocrate, jeune et pleine de volonté. Nous la voyons comme jeune soeur charmante, mais un peu difficile (soeur du Dieu Soleil), comme une fille grandissante (fille du Dieu Lune)..., et un souci pour ses aînés... Nous la voyons comme une amoureuse, une mariée heureuse, et une jeune veuve peinée. Nous la voyons, en effet, dans tous les rôles qu'une femme peut remplir, exceptés ceux nécessitant davantage de maturité et de sens de responsabilité. Elle n'est jamais représentée comme une épouse, une compagne ou une mère (Jacobsen 1976: 141)[4]
Cette description d'Inanna inclut plusieurs de ses aspects, mais tous les rôles que Jacobsen décrit sont ceux qui rattachent la femme aux hommes dans les liens d'une famille patriarcale et qui ainsi contrôle sa sexualité et son habileté reproductrice. La spécialiste et féministe Tikva Frymer-Kensky voit Inanna différemment : Inanna était le modèle divin d'un rôle qui n'était pas considéré socialement désirable. "Elle représente la femme non-domestiquée, et elle illustre toute la peur et le désir qu'une telle femme peut provoquer" (1992:25). Elle est une femme qui n'est pas liée à la famille patriarcale, dont la sexualité n'est pas contrôlée pour les fins de celle-ci. De plus, Inanna est l'esprit redoutable de "l'attraction nécessaire pour toute copulation sexuelle, indépendamment de sa valeur ou raison sociale". Néanmoins, en dépit d'être déesse de prostituées, Inanna était, comme la déesse Ishara, également "patronne de la sexualité matrimoniale" (47-48).
Alors que Inanna semble avoir été la principale divinité féminine de la culture sumérienne dominée par l'homme, une déesse similaire, Ishtar, était vénérée par les peuples sémites du nord (Kramer 1983: 115, 123). Depuis les premiers temps, Inanna et Ishtar devinrent de plus en plus identifiées l'une à l'autre, jusqu'à ce que, à l'époque de Sargon d'Akkad (environ 2300 avant l'ère chrétienne), elles étaient si similaires que, en parlant d'elles, les spécialistes les traitent comme si elles n'étaient qu'une seule divinité : Inanna-Ishtar. Lentement, Inanna, et sa "variété infinie", laissa place à Ishtar, dont les fonctions primaires étaient amour/sexualité et guerre. Finalement, avec le premier millénaire et plus tard, chez les Assyriens, seule Ishtar demeura. Nous pouvons voir un peu d'Inanna dans la Ishtar tardive, mais, dans sa forme finale, Ishtar semble une déesse très différente.
Certains font valoir que l'assimilation des deux déesses était en partie le résultat de la politique de Sargon d'Akkad, cité mentionnée dans la Bible, qui a conquéri Sumer et la majorité de Asie occidentale (Kramer 1983 :117). Pendant un temps, il tenta d'unifier toute la Mésopotamie sous son gouvernement (Meador 2000:41). Afin de l'aider à contrôler "les populations rebelles et sans repos des citées au sud de Sumer" (Meador 2000: 49), Sargon nomma sa fille accomplie Enheduanna comme grande prêtresse et par ce fait, épouse du dieu lune Nanna, divinité tutélaire de la cité d'Ur, une des plus importantes de Sumer. Pendant plus de quarante ans, elle occupa cette fonction sacerdotale (Meador 2000: 6). Sur le dos du désormais célèbre disque trouvé dans les années 1920 à l'intérieur du complexe de Nanna, près de la résidence de la grande prêtresse de Ur, une inscription qui nomme Enheduanna en tant que "épouse de Nanna, fille de Sargon" et qui dédit le disque à Inanna (Meador 2000:37).
En tant que titulaire d'un poste ancien et vénéré, Enheduanna exerçait un grand pouvoir sur les Sumériens (Meador 2000: 49). Toutefois, elle est aujourd'hui reconnue d'abord pour avoir été une grande poète, en fait, comme la première poète dont l'histoire nous ait rapporté le nom. Les quarante-deux poèmes qu'elle écrivit pour les temples partout dans les environs "propagèrent son influence et ses croyances..." (Meador 2000: 50). Plus tard, ses trois poèmes à la déesse Inanna "définirent effectivement une nouvelle hiérarchie des dieux" et aida Sargon à identifier Inanna avec Ishtar (Meador 2000:51). Durant ce temps, lorsque les Akkadiens de langue sémite contrôlaient la Mésopotamie (2334-2154 avant l'ère chrétienne), la fusion d'Inanna avec Ishtar se poursuivait (Williams-Forte 1983 : 189). Les symboles d'Inanna apparaissent sur les plus anciens sceaux mésopotamiens (Adams 1966 : 12), et elle est la première déesse à propos de laquelle nous avons des documents écrits (Hallo & Van Dijk 1968). Toutefois, il est clair qu'elle n'est pas venue à l'existence avec l'invention de l'écriture. À travers la Mésopotamie, les archéologues ont trouvé grand nombre de figurines féminines, datant du début du 6e millénaire avant l'ère chrétienne. Certaines, qui pourraient être précurseures d'Inanna, présentent des poitrines proéminentes et leurs mains en-dessous de leurs seins, comme pour les soulever, un geste employé plus tard par plusieurs déesses, parmi elles Inanna. Dans Symbols of Prehistoric Mesopotamia, Beatrice L. Godd retrace les symboles mésopotamiens de la période Néolithique à la période historique. Dans son étude des différents symboles et figurines, elle conclut que l'intérêt principal des anciens mésopotamiens était la fertilité (1963 :21), qui fut plus tard un des domaines d'intérêt d'Inanna.
Dans les temps historiques, l'animal sacré d'Inanna-Ishtar était le lion, sur lequel la déesse se tenait, debout, ou qu'elle contrôlait. Souvent ailée, Inanna-Ishtar était aussi liée aux oiseaux, comme l'Oiseau-Tonerre et particulièrement la chouette (Lipinkivi 2004: 140).
En tant que Reine ou Dame du Ciel, elle était l'Étoile du Matin et l'Étoile du Soir, la planète Vénus, et en tant que fille du dieu lune, Inanna était également liée à la lune croissante et à la pleine lune (Lapinkivi 2004 : 60,111). Un symbole indubitable d'Inanna-Ishtar était l'étoile à huit branches ou rosette, signifiant son identification avec la planète Vénus (Williams-Forte 1983:187). Un symbole significatif d'Inanna était une paire de mâts, habituellement appelés portails, qui apparait très tôt dans les archives archéologiques (Goff 1963:84). Ils représentaient à la fois la présence de la déesse et l'entrée de son temple (Williams-Forte 1983:188; Wolkstein & Kramer 1983: 47, 106).
La cité primordiale d'Inanna en Mésopotamie était Uruk, un des premiers centres urbains du monde. Le plus ancien temple préservé d'Uruk est l'enceinte sacrée d'Inanna, le E-anna, la "Demeure du Ciel". Les archéologues y ont trouvé quelques unes des plus anciennes écritures sur tablettes d'argile (William-Forte 1983 : 174-175). En tant que protectrice de la cité, Inanna en était la propriétaire originelle (Steinkeller 1996:113). Elle était également la divinité tutélaire de nombreuses autres cités, et avec le temps, plusieurs autres déesses furent assimilés avec elle. À travers le rituel connu comme le "Mariage Sacré", duquel je parlerai dans un autre texte, Inanna accordait son pouvoir au souverain d'Uruk et assurait ainsi la fertilité et la prospérité de la terre et de son peuple. Le rite du Mariage Sacré s'est étendu d'Uruk aux autres cités de Mésopotamie et devint un des rituels central mésopotamien pour couronner un roi. Inanna-Ishtar est de loin la déesse sur laquelle on a le plus écrit dans les textes mésopotamiens. À juger par la quantité de matériel trouvé, elle était très populaire, bien que, évidemment, ce qui nous est parvenu à propos d'elle était sans doute une question de chance. Un des poèmes majeurs parlant d'Inanna est "La Descente d'Inanna (aux Enfers)", une grande oeuvre de la littérature mondiale; j'analyserai cela dans un autre texte. D'autres écrits dans lesquels Inanna est la figure centrale sont : "Inanna et l'Arbre Huluppu", que j'analyserai également dans un autre texte; "Inanna et le Dieu de Sagesse"; des chansosn et poèmes liés au Mariage Sacré; et des hymnes à Inanna écrits par Enheduanna et d'autres poètes (Wolkstein & Kramer 1983: 4-110).
Malgré les points de vue des spécialistes sur sa "variété infinie" et sa nature contradictoire, il n'est pas question que les Sumériens aient vu Inanna comme une seule divinité. Donc, il y a dû avoir un facteur qui a unifié ses différents rôles et fonctions. Il y avait son pouvoir de gardienne d'entrepôt et son pouvoir de faire tomber la pluie; l'esprit de bataille et de l'art de la guerre; l'Étoile du Matin et l'Étoile du Soir; l'impulsion pour le sexe et la sexualité, pas seulement celle de la prostituée mais aussi la sexualité conjugale; déesse d'amour; porteuse de fertilité; adolescence perpétuelle; féminité non domestiquée. La réponse est une allusion à un de ses symboles. Les oiseaux s'envolent à travers le ciel, et vivent également sur la terre, et ainsi traversent les frontières - en fait, les oiseaux vivent dans une situation limite. Inanna-Ishtar est également une franchisseuse de frontières - une femme qui se comporte comme un homme. Elle est souvent représentée comme androgyne; mais en plus, plusieurs de ses fidèles étaient des "travesties et des castrés" (Lipinkivi 2004: 159). Tous ses aspects et fonctions variés impliquent la transition, le passage entre des frontières et la transformation - la nourriture et les grains gardés dans l'entrepôt semblant morts, mais vivants, et qui se transforment en autre chose; la pluie qui rend fertile ce qui est infertile et inversement. Sur les champs de bataille, la fortune change et des gens meurent - l'ultime transformation. Y-a-t-il un endroit plus approprié pour la Dame de Transformation que sur un champ de bataille ! L'Étoile du Matin et l'Étoile du Soir annoncent le changement: elles apparaissent entre l'obscurité et la lumière, et entre la lumière et de l'obscurité. L'amour, la sexualité et le rapport sexuel - tous des manières importants pour les êtres humains de changer. Pas de doute qu'Inanna-Ishtar est la déesse patronne du sexe, de la sexualité et de l'amour! L'adolescence est une période de transition - une femme non-domestiquée n'a pas de lieu fixe. Pas plus qu'une prostituée. Les deux sont des franchisseuses de frontières.
Ainsi, Inanna est une déesse du sexe, une déesse d'amour et une déesse de guerre, mais elle était bien plus. Bien qu'elle était une déesse "de variété infinie", elle n'était pas, toutefois, une divinité contradictoire, mais une divinité unifiée. Ce qui unifie Inanna est le changement - la transformation et la transition. Elle est l'entrée et la sortie, la porte et le portail. Quel symbole serait plus approprié pour elle que celui du portail? À jamais une adolescente au seuil de sa pleine féminité, la jeune Inanna est le seuil éternel à travers tout doit passer pour accomplir le cycle qu'est la vie.
Notes
- Vers l'an 3000 avant l'ère chrétienne, la terre de Sumer occupait la moitié sud de l'Irak.
- Puisque je ne peux lire le sumérien, l'akkadien ou le babylonien, je dois travailler avec les traductions. Toutefois, mon apprentissage du grec ancien, du latin et de l'hébreu biblique m'appris que la comparaison critique de différentes traductions donne lieu à une bonne compréhension du texte original. Je valide également ma compréhension des tesxtes avec mes collègues qui peuvent lire dans les langues originales. Néanmoins, je suis responsable pour toutes erreurs et spécialement pour les interprétations.
- Le mot me est difficile à définir. Samuel N. Kramer dit que les mes étaient " une série de règles et règlements assignés à chaque entité cosmique et phénomène culturel dans le but de les garder actifs pour toujours..."(1963:115-116). Dans le poème "Inanna et le Dieu de Sagesse", Inanna persuade le dieu ivre Enki de lui donner tous les mes, et elle les emmène à sa cité, Uruk. Le poème mentionne une centaine de mes; ils incluaient la royauté, l'héroisme, la vérité, la prostitution et plusieurs postes de prêtrise, de pouvoir, de scribe ou d'artisans (Kramer 1963:116).
- Bien qu'il semble rare qu'Inanna ait été une mère, les textes se reportent à elle comme la mère de quelques fils (Wolkstein & Kramer 1983:70). Elle avait également des sentiments maternels, et surtout pour le peuple de Sumer(Lapinkivi 2004:125-127).
- Adams, Robert McC. 1966. The Evolution of Urban Society: Early Mesopotamia and Prehispanic Mexico. Chicago: Aldine
- Frymer-Kensky,Tikva 1992. In the Wake of the Goddesses: Women, Culture and the Biblical Transformation of Pagan Myth. NY: Free Press
- Goff, Beatrice L. 1963. Symbols of Prehistoric Mesopotamia. New Haven:Yale
- Hallo, William W. & J. Van Dijk 1968. The Exaltation of Inanna. New Haven: Yale
- Kramer, Samuel N. 1983. "Sumerian History, Culture and Literature," in Wolkstein & Kramer, 115-126
- Kramer, Samuel N. 1963. The Sumerians: Their History, Culture, and Character. Chicago: University of Chicago
- Lapinkivi, Pirjo 2004. The Sumerian Sacred Marriage in the Light of Comparative Evidence. Helsinki: The Neo-Assyrian Text Corpus Project, University of Helsinki
- Meador, Betty de Shong 2000. Inanna, Lady of Largest Heart: The Poems of the Sumerian High Priestess Enheduanna. Austin, TX: University of Texas
- Steinkeller, Piotr 1996. "On Rulers, Priests and Sacred Marriage: Tracing the Evolution of Early Sumerian Kingship," in K. Watanabe, ed., Priests and Officials in the Ancient Near East. Heidelberg: C. Winter. 103-137
- Stuckey, Johanna H. 2001. "`Inanna and the Huluppu Tree': An Ancient Mesopotamian Narrative of Goddess Demotion" inFeminist Poetics of the Sacred: Creative Suspicions, ed. Frances Devlin-Glass & Lyn McCredden. NY: Oxford
- Williams-Forte 1983. "Annotations of the Art," in Wolkstein & Kramer, 174-199
- Wolkstein, Diane & Samuel N. Kramer 1983. Inanna, Queen of Heaven and Earth: Her Stories and Hymns from Sumer. New York: Harper & Row