:: Anat : Vierge-Guerrière du Levant
Traduit et adapté par Ishara Labyris de l'article "Anat, Warrior Virgin of the Ancient Levant" de Johanna Stuckey, paru sur le site Matrifocus
La jeune et impétueuse Anant fut l'une des plus grandes déesses du Levant antique, territoire qu'occupe aujourd'hui Israël, la Transjordanie et la Syrie. Dans les poèmes mythiques de la cité antique d'Ugarit, sur la côte de la Syrie, elle avait un rôle très actif, mais l'autre source important de religion polythéiste de cette région, la Bible hébraïque, l'ignore presque complètement. Anat a probablement été vénérée partout dans cette région, bien que plus importante au nord et au sud. Toutefois, à la fin de l'Âge de Bronze (1550-1200 avant notre ère), à en juger par Ugarit, son culte semble avoir commencé à s'essoufler même au nord, et ses attributs et fonctions ont lentement été repris par d'autres grandes déesses.
Selon les poèmes ugaritiques datant de la dernière partie de l'Âge de Bronze (200-1200 avant notre ère), Anat fut certainement une déesse guerrière. Comme la déesse hindoue Kali, elle suspendait sur son corps plusieurs mains et têtes exécutées lors de batailles :
L'âme d'Anat était exubérante
alors qu'elle plongeait jusqu'aux genoux dans le sang des soldats
jusqu'à ses cuisses dans le sang des guerriers... (Coogan 1978:91).
Non seulement Anat prenait-elle plaisir dans l'art de la guerre, mais elle appréciait également la chasse. Lorsqu'elle demanda témérairement au jeune prince Aqhat de lui donner son bel arc, il refusa sa demande d'une manière très insultante :
… Les arcs sont pour les hommes!
Les femmes ont-elles jamais chassé? (Coogan 1978:37).
Sans surprise, l'impitoyable Anat le tua.
Contrairement aux normes de l'Ugarit patriarcale, Anat se comportait comme si elle était un homme et non une femme. Elle était l'avocate agressive de Baal, le dieu de la tempête et de la pluie. En son nom, elle menaca son père, El, qui gouverne le cosmos :
Je briserai ton crâne
Je ferai tomber tes cheveux gris dans ton sang
Ta barbe grise dans ton sang... (Coogan 1978:95)
Elle tua également impitoyablement Mot, le dieu de la sécheresse, de la stérilité et de la mort, afin de libérer Baal de ses griffes.
En dépit de sa nature masculine, toutefois, Anat avait également un côté doux, presque maternel, particulièrement envers Baal. Lorsqu'elle chercha Baal, après que Mot l'eut engloûtit, le poème dit :
Tel le coeur d'une vache pour son veau,
Tel le coeur d'une brebis pour son agneau,
ainsi était le coeur d'Anat pour Baal. (Coogan 1978:111)
En outre, elle était l'une des "deux nourrices des dieux" (Coogan 1978:66). À ce titre, elle éleva probablement les héritiers royaux, mais elle n'était pas une déesse mère. En effet, dans les poèmes ugaritiques, son épithète était généralement "Vierge".
Toutefois, Anat n'était pas vierge dans le sens où nous l'entendons. Plutôt, le mot vierge indiquait qu'elle était une jeune femme ou une femme à mariée qui n'avait pas encore porté d'enfant (Day 1991: 145). Perpétuelle adolescente, Anat pouvait se livrer à des activités culturellement masculines. Mais plus important encore, elle pouvait dépasser les limites des rôles attribués à un sexe en particulier, parce qu'elle n'était pas une "déesse reproductrice ou une déesse de fertilité" (Day 1991:53).
Les textes culturels ugaritiques disent clairement qu'Anat était encore vénérée au nord du Levant durant l'Âge de Bronze tardif (environ 1500-1200/1150 avant notre ère). Plus tard, elle eut également un rôle un peu ambigu dans les autres régions du Levant. Bien que la Bible hébraïque, l'Ancien Testament, ne fait jamais référence à Anat en tant que divinité, elle y apparaît occasionnellement. Selon toute probabilité, les endroits où on l'a retrouvée comportaient d'importants temples et sanctuaires élevés pour elle (Day 2000:133). Les écritures hébraïques contiennent également deux noms de personnes contenant le nom "Anat", dont le plus intéressant est celui de "juge", Shamgar ben Anat ou "champion en Israël" (Judges 3:31; 5:6). D'autres chercheurs émettent l'hypothèse que la phrase "ben Anat" puisse signifier "fils d'Anat". Mais il est plus convainquant de croire que "ben Anat" était une désignation militaire, puisque plusieurs guerriers cananéens ont porté ce même titre. La déesse guerrière fut probablement leur divinité protectrice (Day 2000:134). C'est également à cette époque qu'Anat atteint son plus haut statut de déesse, alors qu'elle devint déesse égyptienne de la guerre, particulièrement importante pour les pharaons ramessides. En effet, le "grand" guerrier et roi Ramsès II (1304-1237 avant notre ère) la considérait comme sa divinité patronne (Patai 1990:62). De plus, quelques reliefs égyptiens de l'époque des Ramessides (1300-1200 avant notre ère) sont dédiés aux déesses cananéennes, certains mentionnant même le nom d'Anat. Au bas d'un des reliefs se trouve une image ainsi qu'une inscription démontrant une offrande rituelle à Anat (Westenholz 1998:80, #28).
Durant l'âge de Fer, à partir de l'an 1200 avant notre ère, au moins une communauté israélite/juive en exil semble avoir vénéré Anat. C'était une colonie militaire en Haute-Égypte. À la fin du cinquième siècle avant notre ère, un membre de cette communauté écrivit des lettres mentionnant Anat ainsi que "Yaho", ou Yahweh (Patai 1990:65-66). Il est possible que, dans cette colonie, Anat était l'épouse de Yahweh. De plus, certains artéfacts laissés sur l'île de Chypre par les Phéniciens, les descendants des Cananéens, réfèrent à Anat et pourraient être la preuve qu'elle fut vénérée là, où, plus tard, elle aurait été assimilée avec la Grecque Athéna (Oden 1976:32). Autrement, Anat n'a pas survécu en tant que divinité distincte, mais elle a été assimilée en la "Déesse Syrienne" de l'époque romaine.
Références et lectures suggérées (en anglais)
+ Coogan, Michael D., translator, 1978. Stories from Ancient Canaan. Louisville, KY: Westminster
+ Day, John 2000. Yahweh & the Gods & Goddesses of Canaan. Sheffield, UK: Sheffield Academic Press
+ Day, Peggy L. 1991. "Why Is Anat a Warrior & a Hunter?" 141-146 in The Bible & the Politics of Exegesis, ed. D. Jobling. Cleveland, OH: Pilgrim
+ Oden, R.A., Jr. 1976. "The Persistence of Canaanite Religion," Biblical Archaeologist 39:31-36
+ Patai, Raphael 1990. The Hebrew Goddess: Third Enlarged Edition. Detroit, MI: Wayne State University
+ Pope, Marvin H., 1977. Song of Songs: A New Translation with Introduction and Commentary. NY: Doubleday, Anchor Bible.
+ Stuckey, Johanna H. 2000. "The Great Goddesses of the Levant," Bulletin of the Canadian Society for Mesopotamian Studies 37 27-48, available from the Canadian Society for Mesopotamian Studies, c/o R.I.M. Project, University of Toronto, 4 Bancroft Ave., Toronto, Ontario M5S 1A1, (416) 978-4531
+ Westenholz, Joan G. 1998. "Goddesses of the Ancient Near East 3000-1000 BC," 62-82 in Ancient Goddesses: The Myths & the Evidence, eds. Lucy Goodison & Christine Morris. Madison. WI: University of Wisconsin
La jeune et impétueuse Anant fut l'une des plus grandes déesses du Levant antique, territoire qu'occupe aujourd'hui Israël, la Transjordanie et la Syrie. Dans les poèmes mythiques de la cité antique d'Ugarit, sur la côte de la Syrie, elle avait un rôle très actif, mais l'autre source important de religion polythéiste de cette région, la Bible hébraïque, l'ignore presque complètement. Anat a probablement été vénérée partout dans cette région, bien que plus importante au nord et au sud. Toutefois, à la fin de l'Âge de Bronze (1550-1200 avant notre ère), à en juger par Ugarit, son culte semble avoir commencé à s'essoufler même au nord, et ses attributs et fonctions ont lentement été repris par d'autres grandes déesses.
Selon les poèmes ugaritiques datant de la dernière partie de l'Âge de Bronze (200-1200 avant notre ère), Anat fut certainement une déesse guerrière. Comme la déesse hindoue Kali, elle suspendait sur son corps plusieurs mains et têtes exécutées lors de batailles :
L'âme d'Anat était exubérante
alors qu'elle plongeait jusqu'aux genoux dans le sang des soldats
jusqu'à ses cuisses dans le sang des guerriers... (Coogan 1978:91).
Non seulement Anat prenait-elle plaisir dans l'art de la guerre, mais elle appréciait également la chasse. Lorsqu'elle demanda témérairement au jeune prince Aqhat de lui donner son bel arc, il refusa sa demande d'une manière très insultante :
… Les arcs sont pour les hommes!
Les femmes ont-elles jamais chassé? (Coogan 1978:37).
Sans surprise, l'impitoyable Anat le tua.
Contrairement aux normes de l'Ugarit patriarcale, Anat se comportait comme si elle était un homme et non une femme. Elle était l'avocate agressive de Baal, le dieu de la tempête et de la pluie. En son nom, elle menaca son père, El, qui gouverne le cosmos :
Je briserai ton crâne
Je ferai tomber tes cheveux gris dans ton sang
Ta barbe grise dans ton sang... (Coogan 1978:95)
Elle tua également impitoyablement Mot, le dieu de la sécheresse, de la stérilité et de la mort, afin de libérer Baal de ses griffes.
En dépit de sa nature masculine, toutefois, Anat avait également un côté doux, presque maternel, particulièrement envers Baal. Lorsqu'elle chercha Baal, après que Mot l'eut engloûtit, le poème dit :
Tel le coeur d'une vache pour son veau,
Tel le coeur d'une brebis pour son agneau,
ainsi était le coeur d'Anat pour Baal. (Coogan 1978:111)
En outre, elle était l'une des "deux nourrices des dieux" (Coogan 1978:66). À ce titre, elle éleva probablement les héritiers royaux, mais elle n'était pas une déesse mère. En effet, dans les poèmes ugaritiques, son épithète était généralement "Vierge".
Toutefois, Anat n'était pas vierge dans le sens où nous l'entendons. Plutôt, le mot vierge indiquait qu'elle était une jeune femme ou une femme à mariée qui n'avait pas encore porté d'enfant (Day 1991: 145). Perpétuelle adolescente, Anat pouvait se livrer à des activités culturellement masculines. Mais plus important encore, elle pouvait dépasser les limites des rôles attribués à un sexe en particulier, parce qu'elle n'était pas une "déesse reproductrice ou une déesse de fertilité" (Day 1991:53).
Les textes culturels ugaritiques disent clairement qu'Anat était encore vénérée au nord du Levant durant l'Âge de Bronze tardif (environ 1500-1200/1150 avant notre ère). Plus tard, elle eut également un rôle un peu ambigu dans les autres régions du Levant. Bien que la Bible hébraïque, l'Ancien Testament, ne fait jamais référence à Anat en tant que divinité, elle y apparaît occasionnellement. Selon toute probabilité, les endroits où on l'a retrouvée comportaient d'importants temples et sanctuaires élevés pour elle (Day 2000:133). Les écritures hébraïques contiennent également deux noms de personnes contenant le nom "Anat", dont le plus intéressant est celui de "juge", Shamgar ben Anat ou "champion en Israël" (Judges 3:31; 5:6). D'autres chercheurs émettent l'hypothèse que la phrase "ben Anat" puisse signifier "fils d'Anat". Mais il est plus convainquant de croire que "ben Anat" était une désignation militaire, puisque plusieurs guerriers cananéens ont porté ce même titre. La déesse guerrière fut probablement leur divinité protectrice (Day 2000:134). C'est également à cette époque qu'Anat atteint son plus haut statut de déesse, alors qu'elle devint déesse égyptienne de la guerre, particulièrement importante pour les pharaons ramessides. En effet, le "grand" guerrier et roi Ramsès II (1304-1237 avant notre ère) la considérait comme sa divinité patronne (Patai 1990:62). De plus, quelques reliefs égyptiens de l'époque des Ramessides (1300-1200 avant notre ère) sont dédiés aux déesses cananéennes, certains mentionnant même le nom d'Anat. Au bas d'un des reliefs se trouve une image ainsi qu'une inscription démontrant une offrande rituelle à Anat (Westenholz 1998:80, #28).
Durant l'âge de Fer, à partir de l'an 1200 avant notre ère, au moins une communauté israélite/juive en exil semble avoir vénéré Anat. C'était une colonie militaire en Haute-Égypte. À la fin du cinquième siècle avant notre ère, un membre de cette communauté écrivit des lettres mentionnant Anat ainsi que "Yaho", ou Yahweh (Patai 1990:65-66). Il est possible que, dans cette colonie, Anat était l'épouse de Yahweh. De plus, certains artéfacts laissés sur l'île de Chypre par les Phéniciens, les descendants des Cananéens, réfèrent à Anat et pourraient être la preuve qu'elle fut vénérée là, où, plus tard, elle aurait été assimilée avec la Grecque Athéna (Oden 1976:32). Autrement, Anat n'a pas survécu en tant que divinité distincte, mais elle a été assimilée en la "Déesse Syrienne" de l'époque romaine.
Références et lectures suggérées (en anglais)
+ Coogan, Michael D., translator, 1978. Stories from Ancient Canaan. Louisville, KY: Westminster
+ Day, John 2000. Yahweh & the Gods & Goddesses of Canaan. Sheffield, UK: Sheffield Academic Press
+ Day, Peggy L. 1991. "Why Is Anat a Warrior & a Hunter?" 141-146 in The Bible & the Politics of Exegesis, ed. D. Jobling. Cleveland, OH: Pilgrim
+ Oden, R.A., Jr. 1976. "The Persistence of Canaanite Religion," Biblical Archaeologist 39:31-36
+ Patai, Raphael 1990. The Hebrew Goddess: Third Enlarged Edition. Detroit, MI: Wayne State University
+ Pope, Marvin H., 1977. Song of Songs: A New Translation with Introduction and Commentary. NY: Doubleday, Anchor Bible.
+ Stuckey, Johanna H. 2000. "The Great Goddesses of the Levant," Bulletin of the Canadian Society for Mesopotamian Studies 37 27-48, available from the Canadian Society for Mesopotamian Studies, c/o R.I.M. Project, University of Toronto, 4 Bancroft Ave., Toronto, Ontario M5S 1A1, (416) 978-4531
+ Westenholz, Joan G. 1998. "Goddesses of the Ancient Near East 3000-1000 BC," 62-82 in Ancient Goddesses: The Myths & the Evidence, eds. Lucy Goodison & Christine Morris. Madison. WI: University of Wisconsin