.: Cybèle : La déesse par excellence
Tiré de "La déesse sauvage" de Joëlle de Gravelaine, chapitre XVI, page 227 à 235.
Difficile de ne pas lui faire une place à part, celle de la Reine. Car plus qu'Isis, elle a échappé à la "trahison" grecque. Isis, en effet, est entrée dans l'âme de Déméter. Cybèle a conservé sa puissance, sa liberté et les autres déesses helléniques lui ont emprunté divers dons, divers traits de caractère. Avec elle, les Grecs ont eu affaire à forte partie. Ils ne sont pas parvenus à la réduire à l'état de vierge sage ou pure, à masquer sa sauvagerie. Cybèle, impériale, parcourt son royaume avec ses lions!On le sait, les Grecs ont vu d'un mauvais oeil l'invasion de Cybèle, venue de Crète, ce berceau - et ce tombeau - de la plupart des dieux. Lorsqu'elle sera accompagnée de ses Ménades, de ses Bacchants et Bacchantes, de ses Corybants, et qu'elle manifestera sa "splendeur divine", elle balaiera tout sur son passage, les hommes raisonnables et les femmes chastes, parce qu'elle leur aura fait connaître l'extase et des expériences sans commune mesure avec leur réalité quotidienne. Et lorsque Dionysos prendra le relais, les Grecs ne pourront plus effacer le message du dieu ni celui de la Grande Déesse. Elle a certes porté d'autres noms : Arinna la Hittite (déesse solaire qui règne autant sur les hommes et les femmes du pays que sur le Ciel), Hébat la Hourrite et ses lions (avec laquelle elle se confondra vite), ou même Ma (ou Ma-Bellone), ou Eileithya crétoise. Les unes tirent vers les Soleil, d'autres vers la Lune, d'autres vers Vénus. Mais il s'agit toujours de la Grande Déesse incarnant le principe de fertilité, associée au cycle Vie/Mort/Renaissance qui les définit sans exception. Les Grecs tenteront de la vêtir plus décemment et de l'appeler Rhéa, Terre Nourricière. Mais pouvaient-ils mieux choisir celle qui deviendra la mère du plus vénéré de leurs dieux?
1. Mâle et femelle à la fois
Comme les Grecs ne savaient trop où la faire naître, ils se référeront à un mythe phrygien. Endormi sur le mont Dindyme, Zeus aurait eu une "pollution diurne". De sa semence tombée à terre surgit un être androgyne - ce qui, à n'en pas douter, plaide pour l'ancienneté du mythe. Les dieux, alarmés comme tous les dieux confrontés à l'inégalable puissance d'une telle créature, décidèrent de l'émasculer. Il ne resta donc que sa part féminine, qui devint Cybèle, à jamais séparée de sa nature masculine... mais ne l'ayant sûrement pas oubliée. Des organes mâles ainsi coupés coula du sang, comme pour la naissance de Vénus-Aphrodite. De ce sang naquit un amandier. De l'amandier tomba un fruit dans le giron de Nana, fille du dieu fleuve Sangarios; du giron de Nana sortit un fils, Attis, qui jouera un rôle essentiel dans la vie de Cybèle, comme Adonis dans celle d'Aphrodite. Attis sera élevé par un bouc ou par une chèvre et séduira Cybèle... avec la conclusion tragique que l'on sait : devenu son amant, il n'en sera pas moins tenté d'épouser une princesse. Ivre de fureur, Cybèle le frappera de folie - comme Dionysos frappera de folie tous ceux qui nieront sa nature divine - et dans cet état de transe et de mania, Attis s'émasculera et en mourra. Ce qui permettra d'établir le culte du dieu enterré et ressuscité. On conte aussi que Cybèle - parfois encore nommée Adgistis - que nous connaissons sous la forme d'un sanglier, chargera elle-même Attis et le tua. Ou bien encore qu'elle obtint des dieux que le corps de son amant échappe à la corruption des mortels. D'où sans doute aussi la version dans laquelle il se change en pin. Cybèle l'aurait peut-être ressuscité elle-même, puisque, de toute façon, il faut bien qu'il "re-naisse".On a même raconté qu'Attis aurait été victime des assiduités d'un roi et que, devant ses résistances, le roi l'aurait châtré! Attis aurait expiré sous un pin, non loin d'un temple de Cybèle où on l'aurait transporté. Cybèle décréta alors que seuls les eunuques pourraient faire partie de ses prêtres. On se souvient des rites d'éviration pratiqués par les Galles, prêtres d'Ishtar, de Cybèle ou comme on voudra la nommer!Parmi les hypothèses dont nous disposons, il en est une - d'inspiration clairement grecque - qui veut qu'Attis et Cybèle aient eu un enfant, découvert un jour par Méion, mère de la déesse, qui aurait tué et le père et l'enfant. Cybèle alors, désespérée, parcourt la Phrygie et lui envoie une peste dévastatrice. Pour échapper au fléau, un oracle enseigna au peuple qu'il fallait accorder à Attis une sépulture convenable et vouer un culte à Cybèle.
2. Nourrie par les fauves
Sur les origines de Cybèle il existe encore une autre version, qui la rapproche sensiblement d'Artémis - à moins qu'Artémis n'ait emprunté à Cybèle : celle-ci serait la fille du roi de Phrygie et la reine Dindyme et elle aurait été abandonnée sur une montagne, nourrie par des fauves, surtout des léopards et des lions. Cette fréquentation des bêtes sauvages était propre à développer ses instincts de "bête". Elle aurait, de bonne heure, regroupé autour d'elle des Corybantes, leur aurait enseigné des jeux, des chants, des danses, aurait créé tambours et tambourins pour accompagner ces danses, et des cymbales éclatantes. Comme Artémis encore, on dit qu'elle protège les enfants et les créatures sauvages, et qu'elle a un pouvoir de guérison.Les Romains eux-mêmes l'intégreront à leur panthéon. Ils l'appelèrent "Bona Dea" et elle sut acquérir une popularité de bon aloi. Ovide l'introduira dans l'histoire d'Énée... bref, elle a la vie dure.
3. "La petra genitrix"
Un mythe intéressant lui est associé : on conte que les Livres Sibyllins avaient révélé aux Romains que pour s'assurer la victoire à la guerre, il leur faudrait ramener à Rome la Magna Mater. Encore fallait-il la trouver! Une fois de plus, l'oracle de Delphes allait les tirer d'affaire. Il orienta les Romains vers Pessinonte où ils découvrirent une pierre, supposée représenter la déesse. Le récit ajoute qu'une jeune fille, accusée de débauche invoqua Cybèle alors que le bateau qui ramenait la pierre s'était échoué et que nul ne pouvait le faire avancer. Dès qu'elle se fut adressée à la déesse, elle tira l'amarre du navire qui reprit sa route sans encombre. On peut se demander si Cybèle, au lieu d'innocenter la jeune romaine, n'avait pas envie de secourir une jeune amoureuse!La "pierre" ne tombe pas ainsi, par hasard, dans le mythe. Celle, noire de la Qâbah, qui repose à La Mecque, est de même nature. La déesse, aussi appelée "petra genitrix", signe par ce nom son extrême antiquité. En effet, les piliers et les bétyles font partie des caractéristiques fondamentales des sanctuaires crétois, minoens et mycéniens; comme on en a rencontré, symbolisant Osiris, sous la forme du Djed. Certains y ont vu la symbolisation de l'arbre. Il est plus vraisemblable que ces piliers représentent des phallus sacrés. On a décrit, dans le sanctuaire néolithique d'Amnisos, près de Cnossos, deux stalagmites apparemment vénérés comme représentation de la déesse dont nous n'oublions pas la nature androgyne. On trouve ailleurs, dans la grotte de Psychro, des stalagtites en colonnes ornés de la hache bipenne - dont on sait qu'elle appartient à la déesse et en symbolise sans doute la double nature masculine et féminine.Il suffit de se promener dans les grottes préhistoriques, comme celle de Pech-Merle dans le Lot, par exemple, pour admirer ces stalagmites et stalagtites qu'on ne peut éviter de comparer à des phallus gigantesques. Il n'est pas un seul visiteur de ces grottes qui ose nier avoir établi cet évident rapprochement. Après tout, ces "phallus" étaient dignes d'appartenir à des dieux ou à des déesses androgynes! Mais on peut aussi suivre Mircea Eliade (dans Histoire des religions) pour qui "ce qui caractérise les religions mégalithiques, c'est le fait que les idées de pérennité et de continuité entre la vie et la mort sont saisies à travers l'exaltation des ancêtres identifiés, ou associés, aux pierres". La pierre, en effet, est imputrescible, apparemment indestructible et le "nom des ancêtres" est assuré de survivre par "l'intermédiaire de la pierre". L'ancêtre lui-même peut être perçu comme "pétrifié", et le tombeau apparaît par ailleurs comme un lieu de transmutation et la pierre lieu de re-création. Les femmes, en certaines régions, lorsqu'elles sont stériles, viennent se frotter contre des pierres, s'asseoir dessus; la pierre est porteuse de vie et de résurrection comme l'eau en d'autres lieux également sacrés. Et notre habitude de poser sur notre sépulture une "pierre" tombale n'est peut-être que la manifestation archaïque de notre désir de survie ou de préservation de notre dépouille charnelle..Ainsi les grottes sacrées, lieu de naissance des dieux par excellence, sont en Crète sous le pouvoir de Cybèle appelée alors Eileithya déesse des accouchements; elles nous renvoient encore à l'archaïsme de la pierre et de la terre, du refuge matriciel. Dans le paléolithique, les cavernes ont joué un rôle religieux indéniable; aujourd'hui le labyrinthe (dont le nom vient peut-être de labra, pierre ou grotte) possède également une vertu religieuse de caractère initiatique, évocateur d'une "descente aux Enfers", d'un affrontement avec la mort. Le labyrinthe nous confronte à notre peur de nous perdre et de se perdre; c'est aussi courir le risque de "ne plus pouvoir revenir", et donc de mourir. Vaincre le labyrinthe, c'est vraincre la mort. M. Eliade précise qu'ona pas retrouvé trace du fameux labyrinthe du Minotaure de Cnossos, sur le plan archéologique, mais qu'il figure sur toutes les monnaies crétoises de l'époque classique. Les uns l'ont associé au Palais royal de Cnossos, d'autres à une caverne taillée.Ainsi la pierre, identifiée à Cybèle, révèle la réalité profondément archaïque de la déesse; pierre non décrite, sur laquelle nous n'avons aucune autre information : est-elle grande comme un stalagmite dressé et triomphant, ou comme un obélisque qui n'en est sans doute que la copie fidèle? Est-elle précieuse, jette-t-elle des lueurs comme les gemmes qui, comme le dit Robert Graves, "donnaient des réponses oraculaires par l'éclat de leurs feux dans l'obscurité du sanctuaire"? Ressemblait-elle à la pisolithe, cette perle des cavernes polie par l'eau et composée de calcite déposée autour d'un noyau central et qui devenait lisse, ronde et parfaite comme une bille de pierre?Peu importe. Cybèle est une déesse pierre, phallique et en même temps précieuse, déesse du monde des vivants et des morts, de la végétation et de la fécondité.Comme l'écrit E.O. James : "En tant que "Dame des Morts", la Montagne Mère combinait les fonctions et les attributions d'une divinité chthonienne qui règne sur les sinistres régions souterraines et qui protège ses habitants en même temps que ceux des régions supérieures, qui est exaltée et triomphante sur son piton de la montagne où du fond du sanctuaire, ses fidèles la priaient en élevant leurs mains et lui dédiaient des libations et des offrandes".
4. La "non-liée"
Cybèle la Crétoise cumulait tous les rôles, toutes les fonctions; plus que les autres déesses, elle régnait sur le monde animal et ses créatures sont aussi bien le lion, le taureau, la colombe, le léopard... que le griffon, le sphinx ou d'autres animaux mythiques et hybrides. Elle accueillait en quelque sorte tous les délires de la création. Elle touche à tous les règnes animaux, aux poissons volants ou autres créatures étranges, ou même aux êtres semi-humains comme les satyres qui faisaient partie de ses serviteurs.La Déesse est généreuse et génitrice; elle est belle, avec sa ceinture d'or et ses serpents, tendant les bras vers la vie, pressant ses seins de ses mains pour en faire jaillir le lait comme Rhé - dont le nom signifie "jet de lait" et qui se projette sur la Voie lactée - (ou de Rhéo, qui coule) - ou bien encore comme Aditi aux pis gonflés, la déesse indienne, la "Non-liée" et donc immortelle, libre, "identifiée à l'univers" ou, comme l'écrit encore M. Eliade : "Aditi était une Grande Déesse Mère qui, sans être complètement oubliée, avait transmis ses qualités et ses fonctions à ses fils, les Adityas". Avant de passer en Grèce, elle ne possédait par les caractéristiques guerrières qu'acquerront ses soeurs et qu'elle acquerra elle-même; pas plus qu'elle ne semble, à l'origine, faire partie des déesses chasseresses.Très certainement, elle incarne le principe féminin mais non pas une féminité passive, obéissante ou docile; on ne lui connaît qu'une petit dieu parèdre qui lui est subordonné et qui veut bien se charger de symboliser le grain nourricier enterré et ressuscité; elle n'épouse aucun dieu puissant, plus puissant qu'elle, puisque apparemment il n'en existe point.Sous l'apparence de Rhéa, elle donnera naissance à Zeus, mais non sous celui de Cybèle. Majestueuse et puissante, elle est éternelle et immortelle comme la pierre qui la désigne.Elle est Triple, comme Hécate, comme Brigit ou comme les autres, à la fois Terre Mère, Montagne Mère et Gardienne des Morts. Nous l'avons déjà rencontrée avec ses serpents, sa couronne, ses yeux sombres. Nous avons visité certains de ses sanctuaires. On a bien sûr insisté sur le rôle du sang vivifiant dans ses rites, sur son aspect régénérateur et suggéré que le culte funéraire de Cybèle se rapport probablement au "voyage de l'âme qui va vers sa demeure définitive où son statut royal lui vaudra peut-être les honneurs divins".Peut-être aussi les sacrifices pratiqués au cours de ces rites servaient-ils à la remontée au jour des morts, à leur réintégration dans le monde des vivants, à leur résurrection...Une chose est certaine : le culte de la Déesse Mère est centré sur les Mystères, sur ce cycle Vie/Mort/Renaissance qui est au coeur de toute interrogation métaphysique depuis le commencement des temps.Et ce sont ces Mystères qu'il convient d'aborder. Avec respect, avec audace et innocence, en tentant de recourir à l'intuition sacrée, à cette "ignorance" à la quelle nous ne savons pas suffisamment faire confiance.
Difficile de ne pas lui faire une place à part, celle de la Reine. Car plus qu'Isis, elle a échappé à la "trahison" grecque. Isis, en effet, est entrée dans l'âme de Déméter. Cybèle a conservé sa puissance, sa liberté et les autres déesses helléniques lui ont emprunté divers dons, divers traits de caractère. Avec elle, les Grecs ont eu affaire à forte partie. Ils ne sont pas parvenus à la réduire à l'état de vierge sage ou pure, à masquer sa sauvagerie. Cybèle, impériale, parcourt son royaume avec ses lions!On le sait, les Grecs ont vu d'un mauvais oeil l'invasion de Cybèle, venue de Crète, ce berceau - et ce tombeau - de la plupart des dieux. Lorsqu'elle sera accompagnée de ses Ménades, de ses Bacchants et Bacchantes, de ses Corybants, et qu'elle manifestera sa "splendeur divine", elle balaiera tout sur son passage, les hommes raisonnables et les femmes chastes, parce qu'elle leur aura fait connaître l'extase et des expériences sans commune mesure avec leur réalité quotidienne. Et lorsque Dionysos prendra le relais, les Grecs ne pourront plus effacer le message du dieu ni celui de la Grande Déesse. Elle a certes porté d'autres noms : Arinna la Hittite (déesse solaire qui règne autant sur les hommes et les femmes du pays que sur le Ciel), Hébat la Hourrite et ses lions (avec laquelle elle se confondra vite), ou même Ma (ou Ma-Bellone), ou Eileithya crétoise. Les unes tirent vers les Soleil, d'autres vers la Lune, d'autres vers Vénus. Mais il s'agit toujours de la Grande Déesse incarnant le principe de fertilité, associée au cycle Vie/Mort/Renaissance qui les définit sans exception. Les Grecs tenteront de la vêtir plus décemment et de l'appeler Rhéa, Terre Nourricière. Mais pouvaient-ils mieux choisir celle qui deviendra la mère du plus vénéré de leurs dieux?
1. Mâle et femelle à la fois
Comme les Grecs ne savaient trop où la faire naître, ils se référeront à un mythe phrygien. Endormi sur le mont Dindyme, Zeus aurait eu une "pollution diurne". De sa semence tombée à terre surgit un être androgyne - ce qui, à n'en pas douter, plaide pour l'ancienneté du mythe. Les dieux, alarmés comme tous les dieux confrontés à l'inégalable puissance d'une telle créature, décidèrent de l'émasculer. Il ne resta donc que sa part féminine, qui devint Cybèle, à jamais séparée de sa nature masculine... mais ne l'ayant sûrement pas oubliée. Des organes mâles ainsi coupés coula du sang, comme pour la naissance de Vénus-Aphrodite. De ce sang naquit un amandier. De l'amandier tomba un fruit dans le giron de Nana, fille du dieu fleuve Sangarios; du giron de Nana sortit un fils, Attis, qui jouera un rôle essentiel dans la vie de Cybèle, comme Adonis dans celle d'Aphrodite. Attis sera élevé par un bouc ou par une chèvre et séduira Cybèle... avec la conclusion tragique que l'on sait : devenu son amant, il n'en sera pas moins tenté d'épouser une princesse. Ivre de fureur, Cybèle le frappera de folie - comme Dionysos frappera de folie tous ceux qui nieront sa nature divine - et dans cet état de transe et de mania, Attis s'émasculera et en mourra. Ce qui permettra d'établir le culte du dieu enterré et ressuscité. On conte aussi que Cybèle - parfois encore nommée Adgistis - que nous connaissons sous la forme d'un sanglier, chargera elle-même Attis et le tua. Ou bien encore qu'elle obtint des dieux que le corps de son amant échappe à la corruption des mortels. D'où sans doute aussi la version dans laquelle il se change en pin. Cybèle l'aurait peut-être ressuscité elle-même, puisque, de toute façon, il faut bien qu'il "re-naisse".On a même raconté qu'Attis aurait été victime des assiduités d'un roi et que, devant ses résistances, le roi l'aurait châtré! Attis aurait expiré sous un pin, non loin d'un temple de Cybèle où on l'aurait transporté. Cybèle décréta alors que seuls les eunuques pourraient faire partie de ses prêtres. On se souvient des rites d'éviration pratiqués par les Galles, prêtres d'Ishtar, de Cybèle ou comme on voudra la nommer!Parmi les hypothèses dont nous disposons, il en est une - d'inspiration clairement grecque - qui veut qu'Attis et Cybèle aient eu un enfant, découvert un jour par Méion, mère de la déesse, qui aurait tué et le père et l'enfant. Cybèle alors, désespérée, parcourt la Phrygie et lui envoie une peste dévastatrice. Pour échapper au fléau, un oracle enseigna au peuple qu'il fallait accorder à Attis une sépulture convenable et vouer un culte à Cybèle.
2. Nourrie par les fauves
Sur les origines de Cybèle il existe encore une autre version, qui la rapproche sensiblement d'Artémis - à moins qu'Artémis n'ait emprunté à Cybèle : celle-ci serait la fille du roi de Phrygie et la reine Dindyme et elle aurait été abandonnée sur une montagne, nourrie par des fauves, surtout des léopards et des lions. Cette fréquentation des bêtes sauvages était propre à développer ses instincts de "bête". Elle aurait, de bonne heure, regroupé autour d'elle des Corybantes, leur aurait enseigné des jeux, des chants, des danses, aurait créé tambours et tambourins pour accompagner ces danses, et des cymbales éclatantes. Comme Artémis encore, on dit qu'elle protège les enfants et les créatures sauvages, et qu'elle a un pouvoir de guérison.Les Romains eux-mêmes l'intégreront à leur panthéon. Ils l'appelèrent "Bona Dea" et elle sut acquérir une popularité de bon aloi. Ovide l'introduira dans l'histoire d'Énée... bref, elle a la vie dure.
3. "La petra genitrix"
Un mythe intéressant lui est associé : on conte que les Livres Sibyllins avaient révélé aux Romains que pour s'assurer la victoire à la guerre, il leur faudrait ramener à Rome la Magna Mater. Encore fallait-il la trouver! Une fois de plus, l'oracle de Delphes allait les tirer d'affaire. Il orienta les Romains vers Pessinonte où ils découvrirent une pierre, supposée représenter la déesse. Le récit ajoute qu'une jeune fille, accusée de débauche invoqua Cybèle alors que le bateau qui ramenait la pierre s'était échoué et que nul ne pouvait le faire avancer. Dès qu'elle se fut adressée à la déesse, elle tira l'amarre du navire qui reprit sa route sans encombre. On peut se demander si Cybèle, au lieu d'innocenter la jeune romaine, n'avait pas envie de secourir une jeune amoureuse!La "pierre" ne tombe pas ainsi, par hasard, dans le mythe. Celle, noire de la Qâbah, qui repose à La Mecque, est de même nature. La déesse, aussi appelée "petra genitrix", signe par ce nom son extrême antiquité. En effet, les piliers et les bétyles font partie des caractéristiques fondamentales des sanctuaires crétois, minoens et mycéniens; comme on en a rencontré, symbolisant Osiris, sous la forme du Djed. Certains y ont vu la symbolisation de l'arbre. Il est plus vraisemblable que ces piliers représentent des phallus sacrés. On a décrit, dans le sanctuaire néolithique d'Amnisos, près de Cnossos, deux stalagmites apparemment vénérés comme représentation de la déesse dont nous n'oublions pas la nature androgyne. On trouve ailleurs, dans la grotte de Psychro, des stalagtites en colonnes ornés de la hache bipenne - dont on sait qu'elle appartient à la déesse et en symbolise sans doute la double nature masculine et féminine.Il suffit de se promener dans les grottes préhistoriques, comme celle de Pech-Merle dans le Lot, par exemple, pour admirer ces stalagmites et stalagtites qu'on ne peut éviter de comparer à des phallus gigantesques. Il n'est pas un seul visiteur de ces grottes qui ose nier avoir établi cet évident rapprochement. Après tout, ces "phallus" étaient dignes d'appartenir à des dieux ou à des déesses androgynes! Mais on peut aussi suivre Mircea Eliade (dans Histoire des religions) pour qui "ce qui caractérise les religions mégalithiques, c'est le fait que les idées de pérennité et de continuité entre la vie et la mort sont saisies à travers l'exaltation des ancêtres identifiés, ou associés, aux pierres". La pierre, en effet, est imputrescible, apparemment indestructible et le "nom des ancêtres" est assuré de survivre par "l'intermédiaire de la pierre". L'ancêtre lui-même peut être perçu comme "pétrifié", et le tombeau apparaît par ailleurs comme un lieu de transmutation et la pierre lieu de re-création. Les femmes, en certaines régions, lorsqu'elles sont stériles, viennent se frotter contre des pierres, s'asseoir dessus; la pierre est porteuse de vie et de résurrection comme l'eau en d'autres lieux également sacrés. Et notre habitude de poser sur notre sépulture une "pierre" tombale n'est peut-être que la manifestation archaïque de notre désir de survie ou de préservation de notre dépouille charnelle..Ainsi les grottes sacrées, lieu de naissance des dieux par excellence, sont en Crète sous le pouvoir de Cybèle appelée alors Eileithya déesse des accouchements; elles nous renvoient encore à l'archaïsme de la pierre et de la terre, du refuge matriciel. Dans le paléolithique, les cavernes ont joué un rôle religieux indéniable; aujourd'hui le labyrinthe (dont le nom vient peut-être de labra, pierre ou grotte) possède également une vertu religieuse de caractère initiatique, évocateur d'une "descente aux Enfers", d'un affrontement avec la mort. Le labyrinthe nous confronte à notre peur de nous perdre et de se perdre; c'est aussi courir le risque de "ne plus pouvoir revenir", et donc de mourir. Vaincre le labyrinthe, c'est vraincre la mort. M. Eliade précise qu'ona pas retrouvé trace du fameux labyrinthe du Minotaure de Cnossos, sur le plan archéologique, mais qu'il figure sur toutes les monnaies crétoises de l'époque classique. Les uns l'ont associé au Palais royal de Cnossos, d'autres à une caverne taillée.Ainsi la pierre, identifiée à Cybèle, révèle la réalité profondément archaïque de la déesse; pierre non décrite, sur laquelle nous n'avons aucune autre information : est-elle grande comme un stalagmite dressé et triomphant, ou comme un obélisque qui n'en est sans doute que la copie fidèle? Est-elle précieuse, jette-t-elle des lueurs comme les gemmes qui, comme le dit Robert Graves, "donnaient des réponses oraculaires par l'éclat de leurs feux dans l'obscurité du sanctuaire"? Ressemblait-elle à la pisolithe, cette perle des cavernes polie par l'eau et composée de calcite déposée autour d'un noyau central et qui devenait lisse, ronde et parfaite comme une bille de pierre?Peu importe. Cybèle est une déesse pierre, phallique et en même temps précieuse, déesse du monde des vivants et des morts, de la végétation et de la fécondité.Comme l'écrit E.O. James : "En tant que "Dame des Morts", la Montagne Mère combinait les fonctions et les attributions d'une divinité chthonienne qui règne sur les sinistres régions souterraines et qui protège ses habitants en même temps que ceux des régions supérieures, qui est exaltée et triomphante sur son piton de la montagne où du fond du sanctuaire, ses fidèles la priaient en élevant leurs mains et lui dédiaient des libations et des offrandes".
4. La "non-liée"
Cybèle la Crétoise cumulait tous les rôles, toutes les fonctions; plus que les autres déesses, elle régnait sur le monde animal et ses créatures sont aussi bien le lion, le taureau, la colombe, le léopard... que le griffon, le sphinx ou d'autres animaux mythiques et hybrides. Elle accueillait en quelque sorte tous les délires de la création. Elle touche à tous les règnes animaux, aux poissons volants ou autres créatures étranges, ou même aux êtres semi-humains comme les satyres qui faisaient partie de ses serviteurs.La Déesse est généreuse et génitrice; elle est belle, avec sa ceinture d'or et ses serpents, tendant les bras vers la vie, pressant ses seins de ses mains pour en faire jaillir le lait comme Rhé - dont le nom signifie "jet de lait" et qui se projette sur la Voie lactée - (ou de Rhéo, qui coule) - ou bien encore comme Aditi aux pis gonflés, la déesse indienne, la "Non-liée" et donc immortelle, libre, "identifiée à l'univers" ou, comme l'écrit encore M. Eliade : "Aditi était une Grande Déesse Mère qui, sans être complètement oubliée, avait transmis ses qualités et ses fonctions à ses fils, les Adityas". Avant de passer en Grèce, elle ne possédait par les caractéristiques guerrières qu'acquerront ses soeurs et qu'elle acquerra elle-même; pas plus qu'elle ne semble, à l'origine, faire partie des déesses chasseresses.Très certainement, elle incarne le principe féminin mais non pas une féminité passive, obéissante ou docile; on ne lui connaît qu'une petit dieu parèdre qui lui est subordonné et qui veut bien se charger de symboliser le grain nourricier enterré et ressuscité; elle n'épouse aucun dieu puissant, plus puissant qu'elle, puisque apparemment il n'en existe point.Sous l'apparence de Rhéa, elle donnera naissance à Zeus, mais non sous celui de Cybèle. Majestueuse et puissante, elle est éternelle et immortelle comme la pierre qui la désigne.Elle est Triple, comme Hécate, comme Brigit ou comme les autres, à la fois Terre Mère, Montagne Mère et Gardienne des Morts. Nous l'avons déjà rencontrée avec ses serpents, sa couronne, ses yeux sombres. Nous avons visité certains de ses sanctuaires. On a bien sûr insisté sur le rôle du sang vivifiant dans ses rites, sur son aspect régénérateur et suggéré que le culte funéraire de Cybèle se rapport probablement au "voyage de l'âme qui va vers sa demeure définitive où son statut royal lui vaudra peut-être les honneurs divins".Peut-être aussi les sacrifices pratiqués au cours de ces rites servaient-ils à la remontée au jour des morts, à leur réintégration dans le monde des vivants, à leur résurrection...Une chose est certaine : le culte de la Déesse Mère est centré sur les Mystères, sur ce cycle Vie/Mort/Renaissance qui est au coeur de toute interrogation métaphysique depuis le commencement des temps.Et ce sont ces Mystères qu'il convient d'aborder. Avec respect, avec audace et innocence, en tentant de recourir à l'intuition sacrée, à cette "ignorance" à la quelle nous ne savons pas suffisamment faire confiance.