:: La possession par les esprits et le culte d'Ishtar en ancienne Mésopotamie
Article paru sur Matrifocus.com, écrit par Johanna Stuckey, traduit par Ishara Labyris
Il est probable que l'exemple le plus populaire de possession par les esprits dans le monde ancien se produisait de façon quotidienne, durant une période d'environ 2 000 ans. Au grand sanctuaire grec de Delphes, le dieu Apollon [et autrefois la Déesse Python] donnait ses oracles ou prédictions à ceux qui le consultaient, et il parlait à travers une prêtresse, la Pythie(Goodrich 1989: 194-254). [1] Les historiens ne sont toujours pas d'accords sur la manière dont la Pythie recevait les messages du dieu [2] : soit en avalant des substances psychédéliques, en aspirant des fumées volcaniques par une ouverture dans la pierre, et ainsi de suite. Toutefois, à mon esprit il s'agit bien plus d'une femme médium qui, que ce soit par le don naturel ou par l'entraînement, entrait en trance lorsque le dieu la possédait.[3] La possession par les esprits est un phénomène bien connu à travers bien des cultures à peu près partout dans le monde. On croit que la plupart des gens ont vu une de ces possessions "dans leur communauté immédiate" ou par leur propre expérience, bien que pour beaucoup d'entre nous, occidentaux, cela apparaisse exotique ou anachronique (Keller 2002: 3)[4]. Ceux qui deviennent possédés de façon plus régulière sont appelés médiums, et on dénombre plus de femmes que d'hommes (Paper 1997: 106). On définit la possession comme une domination totale bien que temporaire du corps humain et de sa conscience par un être autre, connu ou non; après l'événement, la personne possédée n'a habituellement pas souvenir de ce qui s'est passé (d'après Ann Gold, citée dans Keller 2002: 3). En disposant du corps de cette personne, l'esprit, l'ancêtre ou la divinité peut être présent(e) dans la communauté et pour celle-ci. (Paper 1997: 203).[5]
Compte tenu de la présence de médiums et de la possession par les esprits de nos jours, leur existence dans le monde antique n'a rien de surprenant. Un autre exemple familier, cette fois provenant de la Bible judaïque (Ancien Testament chrétien), est la dite " Sorcière d'Endor", la médium que consulta le Roi Saül pour entrer en contact avec le défunt prophète Samuel (I Samuel 28). Un autre exemple dans l'antiquité serait les Ménades grecques, ces dévotes possédées par le dieu Dionysos (Kraemer 1989: 49).
La possession par les esprits semble aussi avoir fait partie de la vie religieuse de l'ancienne Mésopotamie. Par exemple, on croit que, comme je l'ai suggéré ailleurs, durant le rituel du "Mariage Sacré" la déesse Inanna possédait sa grande-prêtresse et agissait à travers son corps en transe. En ancienne Mésopotamie, d'autres exemples reconnus de possession incluaient des oracles ou des prophéties par des fonctionnaires religieux - beaucoup d'entre eux des femmes, plusieurs dévotes du visage sémitique d'Inanna, Ishtar.
L'expression sémitique mésopotamienne pour prophète, raggimu (masc.)/raggintu (fem.) signifiait "Crieur/Crieuse" et on dit que ce genre de donneur d'oracle proclamait ses messages à l'intérieur d'un temple. Un autre type de prophète était appelé mahhû (masc.)/muhhutu(m) (fem.) signifiant "extactique" et dérive de mahu , "devenir frénétique" (Nissinen 2003: 6-7). Les deux types étaient normalement reliés au temple de la divinité pour laquelle ils parlaient. Lorsqu'ils le faisaient, ils étaient possédés par le dieu ou la déesse du temple.
Les rapports oraculaires mésopotamiens sont venus jusqu'à nous principalement en deux groupes, des lettres de Mari et de la collection de Nineveh. Les lettres de Mari (2e millénaire avant l'ère chrétienne) ont été écrites au roi de Mari par les membres de sa famille et de sa cour. Parmi les correspondants de ces lettres relatant les oracles étaient les Shibtu, la reine Zimri-Lim (c. 1775-1761) la prêtresse et soeur du roi Inib-Shina et d'autres femmes royales telles que Addu-Duri (Nissinen 2003 : 15, 28). Les prophètes eux-mêmes incluaient beaucoup plus de femmes que d'hommes (Huffmon Nissinen en 2000: 51), et étaient liés à plusieurs divinités, dont l'une était Annunitu, une forme d'Ishtar.
La collection de Nineveh, sur laquelle je me concentre ici, consiste en des rapports préservés à Nineveh dans une grande bibliothèque du roi assyrien Assurbanipal et réécrit au 7e siècle avant l'ère chrétienne (deJong Ellis 1989 : 133, 141). Des lettres de Mari à la collection de Nineveh, on remarque un changement différentiel de sexe assez important. Les prophètes femmes dépassent en nombre les prophètes hommes de deux fois. De plus, la majorité des prophètes assyriens venaient d'Arbela, une cité du nord d'une partie de la Mésopotamie (Parpolo 1997 : XLVIII). Ce qui n'est pas surprenant, comme nous pourrons le voir, c'est que la divinité protectrice d'Arbela était la déesse Ishtar. Le roi assyrien Esarhaddon (681-669 av. J-C.) et son fils Assurbanipal (668-627), tous deux des rois guerriers (Pongratz-Leisten 2006 : 26), avaient une relation très proche d'Ishtar d'Arbela en tant que "Dame de Guerre". Les prophécies de la collection de Nineveh concernaient ces deux rois.
Bien que les oracles assyriens étaient certainement réécrits par les scribes et probablement que ceux-ci les faisaient s'adapter à une certaine tradition littéraire, il n'en demeure pas moins que ces oracles étaient présentés comme les mots de la divinité. Par exemple, un oracle donné par "la bouche de la femme Sinqisha-amur d'Arbela" dit : "Roi d'Assyrie, n'aie aucune crainte! Je déliverai au roi d'Assyrie son ennemi pour l'abbattre..." La possesseure du médium s'identifiait ensuite : "Je suis la Grande Dame. Je suis Ishtar d'Arbela..." (Parpola 1997 : 4). Dans une autre prophétie de Sinqisha-amur, la divinité qui la possède affirme au roi : " Je suis ton père et ta mère. Je t'ai élevé entre mes ailes" (Parpola 1997 : 18).
L'aspect nourricier et maternel dans le langage apparaît plusieurs fois dans la collection de Nineveh. Un prophète inconnu parle au nom d'Ishtar d'Arbela : "Je suis ta grande sagefemme; Je suis ton excellente nourrice humide" (Parpola 1997 : 7). L'extrait qui suit provient d'une longue prophécie faite pour le couronnement du prince Assurbanipal à travers la "prophétesse Mullisukabtat" (signifiant "Mullissu est honorée"): "Toi, dont la mère est Mullisu, n'aie aucune crainte! Toi dont la nourrice est la Dame d'Arbela, n'aie aucune crainte!" (Parpola 1997 : 39).
Dans certains des oracles, les divinités se réfèrent au roi en tant que veau. Un oracle dit que Ishtar d'Arbela s'en était allée dans la prairie, mais qu'elle avait laissé un message pour le "bien-être de son veau" (Parpola 1997 : 10). Un autre rassure le roi : "[N'aie aucune crainte], mon veau" (Parpola 1997 : 18). Cette référence maternelle nous rappelle les merveilleuses sculptures d'ivoire d'une vache allaitant son veau, dont certaines furent trouvées à Nimrud en Mésopotamie (Mallowan 1978). Cette image était "un motif omniprésent" pour cette période (Parpola 1997 : XXXVIII). De plus, elle était étroitement "connectée dans la tradition historique avec la déesse" (Keel et Uelinger 1998 : 215).
La collection de Nineveh du 7e siècle mentionne treize médiums assyriens, dont neuf étaient des femmes. Les quatre autres étaient probablement des hommes, mais deux d'entre eux semblent avoir été sexuellement ambivalents. Un de ces oracles était identifié comme "la bouche de la femme Baya, fils d'Arbela" (Parpola 1997 : 6 - mes italiques). Les femmes médiums d'Arbela incluaient Ahat-abisha "Soeur de son père", Sinquisha-amur "J'ai vu sa détresse", et Dunnasha-amur "J'ai vu son pouvoir" (Parpola 1997 : IL, LII). Ce n'est pas surprenant que tant de prophètes provenaient d'Arbela (ce qui est aujourd'hui Erbil), puisque Ishtar était la divinité protectrice d'Arbela. Ils étaient certainement pour la plupart rattachés à son temple là-bas, "Demeure de la Dame de la terre" (Nissinen 2003 : 100; Nissinen dans Nissinen 2000 : 95).
Ishtar n'était pas seulement une déesse guerrière, mais aussi une médiatrice divine entre les divinités et entre les divinités et les humains (Nissinen dans Nissinen 2000 : 96). Donc, c'était habituellement elle qui possédait les médiums assyriens. Ainsi, la grande majorité des prophètes ont été associés d'une manière ou d'une autre au culte d'Ishtar. Lorsque à l'occasion une autre divinité souhaitait contacter le roi à travers un oracle, il/elle "utilisait le canal" d'un(e) médium d'Ishtar (Toorn dans Nissinen 2000 : 78-79). Ishtar donnait l'extase à ses dévots. "S'il y eut un culte de possession en Mésopotamie, il était lié à Ishtar" (Toorn dans Nissinen 2000 : 79).
Le travestissement faisait partie de son culte, et elle avait l'habileté d'altérer le sexe d'une personne, de façon à ce qu'un homme devienne une femme et vice-versa. Dans les traités mésopotamiens, la malédiction sur les pactes brisés incluaient souvent des lignes comme la suivante, tirée d'un traité de vassal assyrien : "... puisse Ishtar, la déesse des hommes, la Dame des femmes, leur prendre leur salut [puissance?] causant leur stéré[lité]..." (Reiner dans Pritchard 1969 : 533). Comme Inanna, Ishtar faisait se confondre les lignes qui différenciaient les sexes, les générations, les classes, les espèces, les humains et les animaux.
Ishtar était une déesse d'amour et de guerre, tout comme elle était l'étoile Vénus. Plus tard, comme souvent dans les périodes antérieures, les attributs guerriers d'Ishtar ont été renforcés par des guerriers conquérants comme les Assyriens. Pour leurs rois, Ishtar n'était pas seulement la "Dame de Guerre", mais une divinité personnelle. Elle combattait à leur côté et les menait à la victoire. Ishtar d'Abela était tout spécialement une figure emblématique de la guerre. Toutefois, il est surprenant de constater que dans les oracles de cette déesse on retrouve des caractéristiques très maternelles. Toute assoifée de sang qu'elle puisse être, elle démontre de la tendresse pour son "veau" de la manière la plus maternante qui soit. Cela ajoute une autre dimension à sa personnalité complexe.
Ishtar, source d'extase qu'elle était et qui mêlait les genres, a dû être honorée par plusieurs femmes, tout comme par certains médiums travestis et eunuques. Nous ne pouvons qu'imaginer comment la présence prédominante de prophètes féminins a pu avoir une influence immense sur leur temple et sur les rois-guerriers assyriens, lorsque leur puissante déesse parlait à travers elles.
Notes
Bibliographie
Il est probable que l'exemple le plus populaire de possession par les esprits dans le monde ancien se produisait de façon quotidienne, durant une période d'environ 2 000 ans. Au grand sanctuaire grec de Delphes, le dieu Apollon [et autrefois la Déesse Python] donnait ses oracles ou prédictions à ceux qui le consultaient, et il parlait à travers une prêtresse, la Pythie(Goodrich 1989: 194-254). [1] Les historiens ne sont toujours pas d'accords sur la manière dont la Pythie recevait les messages du dieu [2] : soit en avalant des substances psychédéliques, en aspirant des fumées volcaniques par une ouverture dans la pierre, et ainsi de suite. Toutefois, à mon esprit il s'agit bien plus d'une femme médium qui, que ce soit par le don naturel ou par l'entraînement, entrait en trance lorsque le dieu la possédait.[3] La possession par les esprits est un phénomène bien connu à travers bien des cultures à peu près partout dans le monde. On croit que la plupart des gens ont vu une de ces possessions "dans leur communauté immédiate" ou par leur propre expérience, bien que pour beaucoup d'entre nous, occidentaux, cela apparaisse exotique ou anachronique (Keller 2002: 3)[4]. Ceux qui deviennent possédés de façon plus régulière sont appelés médiums, et on dénombre plus de femmes que d'hommes (Paper 1997: 106). On définit la possession comme une domination totale bien que temporaire du corps humain et de sa conscience par un être autre, connu ou non; après l'événement, la personne possédée n'a habituellement pas souvenir de ce qui s'est passé (d'après Ann Gold, citée dans Keller 2002: 3). En disposant du corps de cette personne, l'esprit, l'ancêtre ou la divinité peut être présent(e) dans la communauté et pour celle-ci. (Paper 1997: 203).[5]
Compte tenu de la présence de médiums et de la possession par les esprits de nos jours, leur existence dans le monde antique n'a rien de surprenant. Un autre exemple familier, cette fois provenant de la Bible judaïque (Ancien Testament chrétien), est la dite " Sorcière d'Endor", la médium que consulta le Roi Saül pour entrer en contact avec le défunt prophète Samuel (I Samuel 28). Un autre exemple dans l'antiquité serait les Ménades grecques, ces dévotes possédées par le dieu Dionysos (Kraemer 1989: 49).
La possession par les esprits semble aussi avoir fait partie de la vie religieuse de l'ancienne Mésopotamie. Par exemple, on croit que, comme je l'ai suggéré ailleurs, durant le rituel du "Mariage Sacré" la déesse Inanna possédait sa grande-prêtresse et agissait à travers son corps en transe. En ancienne Mésopotamie, d'autres exemples reconnus de possession incluaient des oracles ou des prophéties par des fonctionnaires religieux - beaucoup d'entre eux des femmes, plusieurs dévotes du visage sémitique d'Inanna, Ishtar.
L'expression sémitique mésopotamienne pour prophète, raggimu (masc.)/raggintu (fem.) signifiait "Crieur/Crieuse" et on dit que ce genre de donneur d'oracle proclamait ses messages à l'intérieur d'un temple. Un autre type de prophète était appelé mahhû (masc.)/muhhutu(m) (fem.) signifiant "extactique" et dérive de mahu , "devenir frénétique" (Nissinen 2003: 6-7). Les deux types étaient normalement reliés au temple de la divinité pour laquelle ils parlaient. Lorsqu'ils le faisaient, ils étaient possédés par le dieu ou la déesse du temple.
Les rapports oraculaires mésopotamiens sont venus jusqu'à nous principalement en deux groupes, des lettres de Mari et de la collection de Nineveh. Les lettres de Mari (2e millénaire avant l'ère chrétienne) ont été écrites au roi de Mari par les membres de sa famille et de sa cour. Parmi les correspondants de ces lettres relatant les oracles étaient les Shibtu, la reine Zimri-Lim (c. 1775-1761) la prêtresse et soeur du roi Inib-Shina et d'autres femmes royales telles que Addu-Duri (Nissinen 2003 : 15, 28). Les prophètes eux-mêmes incluaient beaucoup plus de femmes que d'hommes (Huffmon Nissinen en 2000: 51), et étaient liés à plusieurs divinités, dont l'une était Annunitu, une forme d'Ishtar.
La collection de Nineveh, sur laquelle je me concentre ici, consiste en des rapports préservés à Nineveh dans une grande bibliothèque du roi assyrien Assurbanipal et réécrit au 7e siècle avant l'ère chrétienne (deJong Ellis 1989 : 133, 141). Des lettres de Mari à la collection de Nineveh, on remarque un changement différentiel de sexe assez important. Les prophètes femmes dépassent en nombre les prophètes hommes de deux fois. De plus, la majorité des prophètes assyriens venaient d'Arbela, une cité du nord d'une partie de la Mésopotamie (Parpolo 1997 : XLVIII). Ce qui n'est pas surprenant, comme nous pourrons le voir, c'est que la divinité protectrice d'Arbela était la déesse Ishtar. Le roi assyrien Esarhaddon (681-669 av. J-C.) et son fils Assurbanipal (668-627), tous deux des rois guerriers (Pongratz-Leisten 2006 : 26), avaient une relation très proche d'Ishtar d'Arbela en tant que "Dame de Guerre". Les prophécies de la collection de Nineveh concernaient ces deux rois.
Bien que les oracles assyriens étaient certainement réécrits par les scribes et probablement que ceux-ci les faisaient s'adapter à une certaine tradition littéraire, il n'en demeure pas moins que ces oracles étaient présentés comme les mots de la divinité. Par exemple, un oracle donné par "la bouche de la femme Sinqisha-amur d'Arbela" dit : "Roi d'Assyrie, n'aie aucune crainte! Je déliverai au roi d'Assyrie son ennemi pour l'abbattre..." La possesseure du médium s'identifiait ensuite : "Je suis la Grande Dame. Je suis Ishtar d'Arbela..." (Parpola 1997 : 4). Dans une autre prophétie de Sinqisha-amur, la divinité qui la possède affirme au roi : " Je suis ton père et ta mère. Je t'ai élevé entre mes ailes" (Parpola 1997 : 18).
L'aspect nourricier et maternel dans le langage apparaît plusieurs fois dans la collection de Nineveh. Un prophète inconnu parle au nom d'Ishtar d'Arbela : "Je suis ta grande sagefemme; Je suis ton excellente nourrice humide" (Parpola 1997 : 7). L'extrait qui suit provient d'une longue prophécie faite pour le couronnement du prince Assurbanipal à travers la "prophétesse Mullisukabtat" (signifiant "Mullissu est honorée"): "Toi, dont la mère est Mullisu, n'aie aucune crainte! Toi dont la nourrice est la Dame d'Arbela, n'aie aucune crainte!" (Parpola 1997 : 39).
Dans certains des oracles, les divinités se réfèrent au roi en tant que veau. Un oracle dit que Ishtar d'Arbela s'en était allée dans la prairie, mais qu'elle avait laissé un message pour le "bien-être de son veau" (Parpola 1997 : 10). Un autre rassure le roi : "[N'aie aucune crainte], mon veau" (Parpola 1997 : 18). Cette référence maternelle nous rappelle les merveilleuses sculptures d'ivoire d'une vache allaitant son veau, dont certaines furent trouvées à Nimrud en Mésopotamie (Mallowan 1978). Cette image était "un motif omniprésent" pour cette période (Parpola 1997 : XXXVIII). De plus, elle était étroitement "connectée dans la tradition historique avec la déesse" (Keel et Uelinger 1998 : 215).
La collection de Nineveh du 7e siècle mentionne treize médiums assyriens, dont neuf étaient des femmes. Les quatre autres étaient probablement des hommes, mais deux d'entre eux semblent avoir été sexuellement ambivalents. Un de ces oracles était identifié comme "la bouche de la femme Baya, fils d'Arbela" (Parpola 1997 : 6 - mes italiques). Les femmes médiums d'Arbela incluaient Ahat-abisha "Soeur de son père", Sinquisha-amur "J'ai vu sa détresse", et Dunnasha-amur "J'ai vu son pouvoir" (Parpola 1997 : IL, LII). Ce n'est pas surprenant que tant de prophètes provenaient d'Arbela (ce qui est aujourd'hui Erbil), puisque Ishtar était la divinité protectrice d'Arbela. Ils étaient certainement pour la plupart rattachés à son temple là-bas, "Demeure de la Dame de la terre" (Nissinen 2003 : 100; Nissinen dans Nissinen 2000 : 95).
Ishtar n'était pas seulement une déesse guerrière, mais aussi une médiatrice divine entre les divinités et entre les divinités et les humains (Nissinen dans Nissinen 2000 : 96). Donc, c'était habituellement elle qui possédait les médiums assyriens. Ainsi, la grande majorité des prophètes ont été associés d'une manière ou d'une autre au culte d'Ishtar. Lorsque à l'occasion une autre divinité souhaitait contacter le roi à travers un oracle, il/elle "utilisait le canal" d'un(e) médium d'Ishtar (Toorn dans Nissinen 2000 : 78-79). Ishtar donnait l'extase à ses dévots. "S'il y eut un culte de possession en Mésopotamie, il était lié à Ishtar" (Toorn dans Nissinen 2000 : 79).
Le travestissement faisait partie de son culte, et elle avait l'habileté d'altérer le sexe d'une personne, de façon à ce qu'un homme devienne une femme et vice-versa. Dans les traités mésopotamiens, la malédiction sur les pactes brisés incluaient souvent des lignes comme la suivante, tirée d'un traité de vassal assyrien : "... puisse Ishtar, la déesse des hommes, la Dame des femmes, leur prendre leur salut [puissance?] causant leur stéré[lité]..." (Reiner dans Pritchard 1969 : 533). Comme Inanna, Ishtar faisait se confondre les lignes qui différenciaient les sexes, les générations, les classes, les espèces, les humains et les animaux.
Ishtar était une déesse d'amour et de guerre, tout comme elle était l'étoile Vénus. Plus tard, comme souvent dans les périodes antérieures, les attributs guerriers d'Ishtar ont été renforcés par des guerriers conquérants comme les Assyriens. Pour leurs rois, Ishtar n'était pas seulement la "Dame de Guerre", mais une divinité personnelle. Elle combattait à leur côté et les menait à la victoire. Ishtar d'Abela était tout spécialement une figure emblématique de la guerre. Toutefois, il est surprenant de constater que dans les oracles de cette déesse on retrouve des caractéristiques très maternelles. Toute assoifée de sang qu'elle puisse être, elle démontre de la tendresse pour son "veau" de la manière la plus maternante qui soit. Cela ajoute une autre dimension à sa personnalité complexe.
Ishtar, source d'extase qu'elle était et qui mêlait les genres, a dû être honorée par plusieurs femmes, tout comme par certains médiums travestis et eunuques. Nous ne pouvons qu'imaginer comment la présence prédominante de prophètes féminins a pu avoir une influence immense sur leur temple et sur les rois-guerriers assyriens, lorsque leur puissante déesse parlait à travers elles.
Notes
- Le titre Pythie signifie "Pythonesse ou Femme Serpent" et provient du nom du serpent-dragon Python, le gardien original du sanctuaire. Le mythe bien connu de Delphes raconte qu'Apollon acquérit le sanctuaire en tuant Python. Avant Apollon, ce temple était déié à la déesse chtonienne Gaïa. Le temple d'Apollon fut bâti sur le sanctuaire plus ancien de Gaïa. Les ruines de ce temple sont toujours là, sous ce qu'on appelle maintenant "La Pierre de la Sybile". Voir Fontenrose 1974.
- Selon la tradition, Thémis, la fille de Gaïa, fut la première Pythie; le nom grec "themis" signifie "loi telle qu'établie par coutume".
- Bien qu'Apollon ait gardé des prêtresses comme médiums, ce sont habituellement des prêtres qui transmettaient ou interprétaient leurs réponses à ceux qui recherchaient leurs conseils (Maurizio 1995 : 70).
- Néanmois, dans les églises pentecôtistes chrétiennes, par exemple, les fidèles deviennent régulièrement "possédés par l'esprit" et parlent dans d'autres langues et prophétisent d'une certaine manière, comme le font certains dévots de certains programmes téléévangélistes.
- Bien qu'ils sont souvent liés, un médium diffère normalement d'un chaman, puisque un chaman "emploie activement les esprits plutôt que d'être un simple canal passif pour l'esprit", tel que l'est le médium (Grabbe dans Nissinen 2000 : 18). De plus, elle/lui use de sa propre conscience lors de ses expériences et peut également se rappeler de ces événements lors de sa sortie de transe.
- Mulissu/Mullissu était le nom assyrien de la grande déesse Nin-lil, épouse du dieu sumérien suprême En-lil. Elle était la femme du dieu d'état assyrien Ashur, l'homologue assyrien d'En-lil. Son animal sacré était le lion. Plus tard, elle fut assimilée à Ishtar, surtout à Ishtar d'Arbela. En Assyrie, dans une période plus tardive, Ishtar était l'épouse du dieu Ashur. Hérodote l'appelle Mylitta et l'identifie à une Aphrodite assyrienne.
- Plusieurs catégories de fonctionnaires religieux dédiés à Ishtar étaient des travestis, et dont plusieurs étaient sans doute castrés.
Bibliographie
- Bienkowski, Piotr et Alan Millard, eds. 2000. Dictionary of the Ancient Near East. Philadelphia: University of Pennsylvania.
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- Fontenrose, Joseph 1974 (1959). Python: A Study of Delphic Myth and Its Origins. New York: Biblo & Tannen.
- Goodrich, Norma Lorre 1989. Priestesses. New York: Franklin Watts.
- Keel, Othmar et Christoph Uehlinger 1998. Gods, Goddesses, and Images of God in Ancient Israel. Minneapolis, MN: Fortress.
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- Leick, Gwendolyn 1998. A Dictionary of Ancient Near Eastern Mythology. New York: Routledge.
- Mallowan (Sir), Max 1978. The Nimrud Ivories. London: Colonnade, British Museum.
- Maurizio, L. 1995. “Anthropology and Spirit Possession: A Reconsideration of Pythia’s Role at Delphi.” Journal of Hellenic Studies 115:69-86.
Nissinen, Martti 2003. Prophets and Prophecy in the Ancient Near East. Atlanta, GA: Society of Biblical Literature. - Nissinen, Martti, editor. 2000. Prophecy in Its Ancient Near Eastern Context: Mesopotamian, Biblical, and Arabian. Atlanta, GA: Society of Biblical Literature.
- Paper, Jordan 1997. Through the Earth Darkly: Female Spirituality in Comparative Perspective. New York: Continuum.
- Parpolo, Simo 1997. Assyrian Prophecies. Helsinki: Helsinki University.
- Pongratz-Leisten, Beate 2006. “Cassandra’s Colleagues: Prophetesses in the Neo-Assyrian Empire.” Journal of the Canadian Society for Mesopotamian Studies 1: 23-29.
- Pritchard, James B., editor. 1969. Ancient Near Eastern Texts Relating to the Old Testament: Third Edition with Supplement. Princeton, NJ: Princeton University Press