:: Ishtar : La Reine des Cieux
- Traduit et adapté par Ishara Labyris du chapitre "The Queen of Heaven", tiré du livre "When the drummers were women" de Layne Redmond.
La cité sumérienne d'Uruk, sacrée à la déesse Inanna, est le lieu d'origine du tout premier langage écrit, l'endroit où "l'histoire" débute. Les anciens textes sumériens décrivent des rituels impliquant l'utilisation de tambours et la fabrication de tambours sacrés. Ils nous donnent le nom du tout premier "drummer" de l'histoire - Lipushiau, la prêtresse la plus respectée de l'état-cité d'Ur.La culture urbaine sumérienne s'éveilla entre 4000 et 3000 avant l'ère chrétienne, sur les plaines alluviales entre les rivières Tigre et Euphrate (terre que les Grecs appelaient Mésopotamie, qui signifie "entre les rivières"). Son peuple développa tous les poinçons de la civilisation : l'écriture, la littérature, les systèmes d'éducation et légaux, la technologie de la roue, les arts spécialisés, les systèmes élaborés d'irrigation, l'astronomie calendaire. Pourtant, jusqu'à la fin du siècle dernier, lorsque la première preuve de l'existence de cette ancienne culture a été découverte, les réalisations des Sumériens avaient été effacés de nos mémoires.
Les cités de Sumer abritaient de vingt à cinquante mille habitants. Les gens y élevaient des ânes, buffles, chèvres, moutons et cochons. Les ânes et les buffles étaient utilisés pour labourer les champs, afin de cultiver le blé, l'orge et le palmier dattier. Durant les rudes étés, toute végétation se mourrait, il était alors essentiel de récolter et d'engranger le grain afin de nourrir à la fois les hommes et les bêtes. Le Tigre et l’Euphrate étaient des rivières sauvages et imprévisibles, qui débordaient fréquemment et avaient des changements radicaux dans leurs cours. La culture était alors assez précaire, expérimentant des pénuries d'eau continues au début de la saison, puis des inondations périodiques lors de la récolte. De telles nombreuses populations pouvaient exister dans une terre inhospitalière que grâce à un environnement artificiel, soutenu par l'irrigation, l'agriculture et l'élevage d'animaux; pourtant les archéologues ont trouvé que les cités avaient crû autour de complexes et de temple monumentaux construits bien avant le développement de l'irrigation.L'historien Robert M. Adams émet l'hypothèse selon laquelle l'impulsion pour l'urbanisation ait pu provenir de "nouveaux modes de pensées et d'organisations sociales, se cristallisant dans les temples". Les complexes des temples étaient érigés sur des sols sacrés, des "lieux de pouvoir" où les gens convergeaient pour ressentir la présence d'énergies divines, depuis l'époque néolithique. Il s'agissait de centres de pèlerinage où la communication entre les cieux, la terre et les enfers pouvait avoir lieu, où les prêtresses et les prêtres - techniciens du Sacré - pouvaient, grâce au pouvoir du rituel, chanter et tambouriner, agir en tant que canaux pour le Divin.
Le Temple
Conceptuellement, le temple était une extension de la cave paléolithique. Par la porte des murs externes, l'un entrait dans cet intérieur "utérin" du Divin. Le temple intérieur était une réplique du sanctuaire original, une simple hutte de roseau, bien que plus tard il fut construit avec des matériaux plus solides. Il était bâti sur une plateforme élevée qui, plus tard, devint la ziggourat pyramidale.Joseph Campbell décrit la ziggourat comme étant le point central au centre de l'espace du cercle sacré, où les pouvoirs de la terre et des cieux convergent, un concept similaire au symbole hindou du bindou. C'était une tour pyramidale de plusieurs plateformes dont les coins étaient orientés vers les quatre directions de la boussole. Au sommet de ce temple intérieur sacré avait lieu le hieros gamos, la plus importante des cérémonies religieuses de l'année. La nuit, la haute prêtresse recevait ses prophéties et révélations, données par la divinité, en sa chapelle. (Nous ne savons pas quel rituel elle utilisait pour ce faire, mais nous sommes très certains que cela impliquait l'utilisation d'un tambour. Comme nous le verrons, les hautes prêtresses de Sumer étaient des drummers talentueuses, et les prophétesses des civilisations qui lui succédèrent lui empruntèrent ses traditions, dont celles qui impliquaient les tambours).Le temple intérieur était entouré de plusieurs chambres où des offrandes rituelles étaient préparées. Un complexe d'ateliers, d'installations médicales, de magasins et de bureaux administratifs s'était installé autour. Des murs rectangulaires ou, dans certains cas ovales, entouraient l'édifice principal du complexe. (Campbell sentit que les murs ovales construits dans certains temples avaient été faits ainsi pour représenter la vulve de la déesse). À l'intérieur se trouvaient les demeures des prêtresses et des prêtres, les cuisines où étaient cuits les gâteaux rituels, les greniers, les caves à vin, les puits et les granges pour les buffles sacrés.[...]L'invention de l'écriture est attribuée à Nisaba, la déesse de "l'écriture, de la comptabilité et du savoir scribe", ainsi que déesse du grain. Similairement, la déesse égyptienne de l'écriture, Seshat, est appelée "celle qui est première dans la maison des livres". Un autre nom pour Seshat est Sefhet, qui signifie "sept", et son symbole est une fleur à sept pétales. Lors de la création d'un nouveau temple, le prêtre de Seshat établissait le plan du sol avec une corde à mesurer. En Égypte et à Sumer, les temples de ces déesses étaient des centres d'apprentissage. Le grand temple d'Inanna à Uruk était appelée Maison de Connaissance. Une hypothèse a été émise au fait que les prêtresses ait développé le langage écrit comme une extension des calendriers lunaires qu'elles utilisaient pour marquer les périodes menstruelles et les mois de grossesse.La tête spirituelle du temple était appelée En, et pouvait être un homme ou une femme. L'En du temple principal d'Inanna à Uruk était un homme, l'En d'Ekishnugal, le temple du dieu-lune Nanna à Uruk était une femme. En l'an 2380 avant l'ère chrétienne, l'En d'Ekishnugal était Lipushiau, la petite-fille du Roi Naramsin. Elle avait aussi été désignée joueuse de balag-di, que l'éminent musicologue Curt Sachs identifia comme un petit tambour utilisé pour les chants liturgiques. Ce qui fait de Lipushiau la première joueuse de tambour connue de l'histoire.
Visages de la Déesse
Les anciens textes sumériens décrivent plusieurs divinités, masculines et féminines, mais une déesse était vénérée plus que toutes autres divinités, pendant des milliers d'années. C'est Inanna, la Grande Déesse vénérée depuis le début de la culture sumérienne. Elle s'est transformée en Ishtar plus tardivement en Mésopotamie, en Anat et Atargatis en ancienne Syrie, en Ashtoreth et Astarté à Canaan et Israël, en Aphrodite à Chypre, en Athéna et Aphrodite en Grèce. En Mésopotamie, elle se divise en plusieurs déesses, mais il y a toujours les mêmes qualités et attributs qui reviennent, nous laissant savoir qu'il s'agit d'une seule déesse, Celle aux multiples noms.Nammu est la Déesse Mère qui donne naissance au ciel et à la terre, la grande ancêtre qui engendra les dieux en son utérus. Le pictogramme représentant son nom signifie "mer primordiale". Elle ressemble à la mère nourricière représentée en la Vénus de Willendorf du Paléolithique. Ninhursaga est la Terre Mère, nommée la Mère de Tous les Enfants, celle qui crée et donne naissance - pas seulement à tout peuple, mais également à toute vie sauvage. Dans les anciens textes, on l'appelle aussi mère des dieux, qui rappelle les fonctions de Nammu.Sous la forme d'une déesse-vache dans les tout premiers temples, Ninhursaga nourrissait les rois sumériens de son lait divin, probablement produit par les vaches sacrées du temple, qui étaient ses manifestations. Son temple s'appelait Kesh, qui signifie à la fois "protection" et "sanctuaire".
Dans son rôle de déesse de l'accouchement, la déesse est parfois appelée Nintur, un nom qui est parfois traduit comme suit : "Dame de la Hutte de Naissance". Ce nom inclut un signe qui semble être un dessin d'une hutte de naissance dans un enclos de bétails. Le mot sumérien pour dire bergerie représente une maison de naissance à l'intérieur d'une bergerie, un utérus et une vulve. Selon Thorkild Jacobsen, son emblème, dont la "forme ressemblait à la lettre grecque Omega, a pu être interprété, à partir de parallèles égyptiens, comme une représentation de l'utérus d'une vache". Les épithètes de Nintur incluent : "Dame de l'Utérus", "Dame qui donne forme", "Dame Potière", "Charpentière des Intérieurs" et "Dame de l'Embryon". Elle est le pouvoir incroyable de l'utérus, qui fait croître l'embryon, donnant une forme unique à chaque être.En tant qu'Inanna, le divin déminin est représenté comme une belle, artistocratique jeune déesse de l'amour érotique et de la fertilité, et plus tard de la guerre. Elle partage des caractéristiques avec Ninhursaga, parce qu'elle se manifeste dans le corral, dans la bergerie et dans l'étable, des abris qui devinrent les premiers temples de l'ancienne déesse-vache. Inanna est également déesse de la pluie et son pouvoir dans cet aspect est chamanique. Elle peut donner ou retenir la pluie. Elle contrôle le tonnerre. "Je marche dans les Cieux et les pluies s'abattent; Je marche sur la Terre et l'herbe et la végétation croissent", chante-t-elle. Les nuages étaient appelés "seins du Ciel". Les orages étaient les manifestations de la colère d'Inanna, lourds des grognements de ses animaux alliés, le lion et le taureau - des animaux de pouvoir associés à la déesse de Çatal Hüyük. Traditionnellement, le tambour sur cadre était utilisé pour invoquer la pluie, en reproduisant le bruit du tonnerre.Comme la déesse hindoue Sarasvati, on dit qu'Inanna dota l'humanité de la civilisation - une réflexion d'un rôle primaire des femmes en créant la culture. Son don est appelé le "me" ou mère-sagesse. Ce sont les principes qui contrôlent et mettent en oeuvre les patterns culturels qui donnent naissance à une civilisation. Ereshkigal, la déesse de la mort, est le miroir opposé d'Inanna, son ombre sombre. Elle représente des aspects cachés, destructeurs et déchaînés de la déesse qu'Inanna, comme toutes les femmes, doit apprendre à respecter et reconnaître comme part d'elle-même.
Symboles de la Déesse
Inanna a gardé plusieurs des symboles anciens des déesses du Paléolithique et du Néolithique. Elle était appelée "Première Fille de la Lune" et elle portait la couronne de cornes lunaires, souvent formée avec sept pairs de cornes superposées. Ces cornes l'identifiaient avec l'ancienne déesse-vache. Elle était souvent représentée un pied sur son lion ou le chevauchant, gardiens tous deux des portes de la conscience. Elle fut également identifiée à Vénus, l'étoile du matin et du soir.Inanna était connue aussi comme la déesse du palmier dattier. Il y avait toujours un arbre vivant grandissant à l'intérieur de son temple, dont on s'occupait en tant que représentation de l'Arbre de Vie. Inanna apparaît avec la colombe et le serpent. Depuis les temps anciens, l'oiseau et le serpent étaient liés avec le don de prophétie, le pouvoir de la renaissance et à l'Arbre de Vie.
La rosette, l'un des plus anciens symboles associés à Inanna, apparaît à Uruk bien avant 3 000 ans avant notre ère. Plusieurs rosettes ont été trouvées dans son temple, dans la cité d'Ashur, dans la période Assyrienne moyenne (1350-1000 avant l'ère chrétienne). Les représentations de rosettes les plus anciennes étaient composées de sept points, ainsi que six entourant un autre point au centre. Ces sept points ou étoiles, qui apparaissaient souvent dans les représentations d'Inanna, remontent aux plus anciennes périodes la culture sumérienne. Plus tard, les sept points ont été arrangés en deux rangées de trois points, avec le septième point placé entre les deux rangées. Ces points représenteraient les Pléiades, mais également les sept portes à travers lesquelles Inanna aurait passé dans le Monde d'en bas, et possiblement aussi le concept des sept chakras. Un autre symbole stellaire avec huit points était connu depuis la période préhistorique jusqu'à la période Néo-babylonienne comme symbole d'Inanna.Inanna apparaît également se tenant sur le don de son lion, tenant des lotus. Ces symboles floraux, alliés à la rosette, représentent la vulve ou l'utérus de la déesse, duquel jaillissent les eaux de création. Dans les cultures plus tardives, on voit de manière répétée ces types de symboles peints sur le dessus des tambours à cadre. (Une seule des représentations de tambour à cadre avec un symbole peint sur le-dessus a survécu de la Mésopotamie. Ce tambour était peint avec le symbole du swastika et était joué par une femme).
Musique rituelle
Les énergies cycliques des saisons et l'année étaient comprises et préservées dans le rythme des rituels du temple. Garder la population urbaine en contact profond avec les cycles de la nature était l'un des premiers buts des rituels dirigés par les prêtresses et les prêtres de Sumer. Le temple d'Inanna à Uruk était construit acoustiquement, de manière à accroître l'effectivité des rituels qui prenaient place en ses murs. Le temple en lui-même agissait comme un transformateur, amplifiant la musique et le chant sacrés.La musique jouée tenait un rôle essentiel dans les rituels des temples et même dans la vie quotidienne. Les instruments premiers qui étaient utilisés incluaient le tambour à cadre, les gros tambours, les lyres, les harpes, les sistres, les flûtes de métal et les flûtes de roseau. Le tambour est particulièrement présent dans les textes religieux."Les petits tambours à main, joués par les femmes, que nous connaissons des plus anciennes périodes de la culture sumérienne nous proviennent sûrement d'une tradition néolithique, dit l'historien de la musique Walter Wiora.
La chercheuse Joan Rimmer décrit un bon nombre de figurines et de plaques représentant des femmes tenant "des objets plats et circulaires". Elle pense que ces objets sont des tambours. "On croit généralement que ces figures sont liées au culte de la Déesse Mère et que les objets circulaires sont des disques ou des tambours, qui étaient presque exclusivement des instruments féminins, même à l'époque des Grecs et des Romains. Il y a quelques exemples dans lesquels indisputablement un tambour est réellement représenté et tenu de côté, et battu. Il semble probable que le tambour, ait-il été utilisé pour marquer le rythme de chants ou de danse ou les deux, ait été joué par des prêtresses ou des leaders féminins talentueuses."Ces sculptures de femmes avec tambours ont été identifiées : "femme avec disque" ou "femme avec gâteau". Il existe une position traditionnelle pour tenir le tambour toujours utilisé au Maroc aujourd'hui, et à travers le Moyen-Orient et la Turquie et qui semble identique à celle adoptée par les figures des "femmes avec gâteau". De plus, toute personne ayant déjà fait un gâteau n'aurait jamais tenté, ni même pensé de le tenir de cette façon."Les tambours sumériens avaient été peints de rouge, la couleur sacrée du sang. On croit aussi qu'il puisse y avoir eu du cuivre, ce qui peut avoir impliqué que les tambours aient eu des petites cymbales ou des petites pièces de métal autour du cadre. Nous ne pouvons affirmer avec certitude que les tambours avaient des cymbales attachées, ce qui en feraient des tambourins, jusqu'à l'ère Romaine, mais les sistres apparaissent avec les plus anciennes représentations d'instruments de musique et semblent en lien avec les tambours.Les harpes trouvées dans la tombe de la Reine Pu-abi (ou Shub-ad) à Ur sont les plus anciens - et complexes - instruments jamais retrouvés. La Reine Pu-abi et son époux, le Roi A-bar-gi, ont été inhumés dans des tombes ornées, autour de l'an 2700 avant notre ère, avec leurs suites - environ soixante-cinq personnes pour le roi et trente-cinq pour la reine. Dans les deux cas, il y avait un grand nombre de musiciennes avec leurs instruments. Ces personnes étaient richement vêtues, dans leurs vêtements de cour. Il n'y a aucun signe de violence sur leurs corps et il est presque certain qu'elles se soient donné la mort volontairement. Les chercheurs pensent que, après avoir dirigé une sorte de rituelle, elles auraient bu une drogue, un poison, pour ensuite aller dormir. Les harpistes ont été trouvées assises ou couchées près de leurs harpes, comme si elles avaient continué de jouer jusqu'à la fin. Une de ces harpes est décorée avec une scène, sculptée, représentant un orchestre animal dans lequel une gerboise joue du sistre. Sur ses cuisses est posé un tambour. Il y a aussi un sceau-cylindre sur lequel est représentée la Reine Pu-abi avec les femmes de sa cour ou des prêtresses jouant de la harpe et du tambour. Le balag-di, un petit tambour à cadre joué par Lipushiau dans le temple du dieu-lune, était utilisé pour accompagner les chants liturgiques, dans les cérémonies où on voulait prévenir la calamité, et dans les célébrations religieuses. Le balag, un plus large tambour, était disposé en face du temple de la déesse Babba (ou Bau) le jour du Nouvel An. Ce tambour se nommait Nin-an-da-gal-ki, la Maîtresse des Grands Cieux et Terre. Le symbole de Babba est la pelle à vanner utilisée pour nettoyer le grain.Dans une chanson décrivant comment Inanna devait être reçue dans sa cité sacrée, Uruk, la déesse chante :
"Laissez le tambour et le tambourin résonner
Laissez la douce musique du tigi jouer
Laisser toutes les terres proclamer mon noble nom
Laissez mon peuple chanter mes louanges"
Puis, elle énumère ses dons - il y en a plus d'une centaine, dont le don de musique et spécifiquement du tambour :
"Elle apporta les tigi, et les tambours lilis.
Elle apporta les ubs, les meze etles tambourins ala..."
Dans les mains de batteurs ou batteuses expérimenté(e)s, le battement des tambours rituels pouvaient hausser dramatiquement les émotions derrière les mots. Les anciens textes décrivant la musique du temple semblent considérer le tambour et la voix dans l'achèvement de la musique. Le son du tambour et de la voix pouvait "apaiser les larmes" et "adoucir les soupirs". Dans les processions, lors d'occasions cérémonielles, le son du tambour "calmait et élevait les hommes de la cité".Le tambour était aussi utilisé pour attirer l'attention divine. Une inscription hittite décrit un rituel dans lequel une femme jouant des cymbales prend le tambour afin d'appeler les dieux. (Les Hittites provenaient d'une culture influencée par les Sumériens et vécurent au second millénaire avant notre ère). La voix du tambour appelait et ensuite devenait la voix de la divinité.À partir de 2 500 ans avant notre ère, des offrandes à Inanna étaient placées sur un autel, dont la forme rappelait celle d'un tambour en sablier, suggérant que, à une époque antérieure, elles étaient placées sur le tambour même. Cette pratique impliquait également que le tambour était central à tout être vivant de cette société.Les prêtresses et prêtres Kalu étaient des musiciens et chanteurs dans les temples. Leur fonction était d'invoquer la bienveillance de la divinité en chantant des hymnes et des liturgies, en étant accompagnés par la musique des instruments incluant la lyre, la harpe, la flûte et le tambour. Une inscription sur une tablette dédiée à Ishtar se traduit comme suit :
"les prêtres-Kalu, tous se tiennent autour, avec la flûte et le tambour [lub-dub-ta]."
Dans une lamentation suivant la destruction de Nippur, le psalmiste est dirigé afin de "chanter au tambour [balag]." Un dévot dit : "Au petit tambour [ub] et au plus large tambour [a-la], je chante". Les chanteurs et les musiciens entreprenaient un cheminement de trois ans d'apprentissage, et on croit que les hautes-prêtresses et hauts-prêtres étudiaient encore bien plus longtemps.
La Sombre Lune
On a pu retracé, dans les textes d'Uruk, une preuve que le son des tambours a pu calmer et rassurer la population durant une éclipse. Son effectivité était probablement liée au fait qu'il leur était familier d'entrer les tambours utilisés mensuellement pour les rituels. Lors de la Troisième Dynastie d'Ur, la Reine était responsable des offrandes rituelles à la Lune durant les trois jours que durait la fin de son cycle, lorsqu'elle était noire. C'était un temps de lamentations, lors duquel on croyait que la lune était dans le Monde d'en Bas (Enfers). Sa résurrection était due au son des tambours que l'on battait.Ce rituel mensuel où l'on battait les tambours peut aussi avoir facilité le flux du sang menstruel. Les cycles menstruels et les cycles lunaires ont conservé leurs anciennes associations et références de l'ancien monde, qui suggérait que les femmes étaient menstruées en même temps, lors de la lune sombre. Depuis l'époque paléolithique, le sang menstruel était considéré comme une substance puissamment magique pour invoquer la résurrection ou la renaissance. On croyait que les prêtresses menstruées qui jouaient du tambour avaient le pouvoir de ramener la lune et simultanément, de rendre la terre fertile. En décrivant les traditions folkloriques contemporaines en Inde, Pupul Jayakar déclare : "Le sang féconde la terre et à travers un processus magique d'alchimie, elle le transforme en pluie et en nourriture.
"Le Grain Sacré
Nous avons vu comment la montée de l'agriculture étendit le miracle de la transformation du Paléolitique - l'eau qui devient sang, qui devient lait - pour inclure ensuite le pain. Tout comme à Çatal Hüyük, les fours à pain étaient installés dans les sanctuaires, à Sumer, les boulangeries étaient rattachées aux temples. Là, les gâteaux utilisés pour les rituels du temple étaient préparés. Selon l'historien George Contenau, ces boulangers "préparaient les gâteaux sacrés que les dévots de la déesse Ishtar [l'Inanna babylonienne] émiettaient et laissaient pour ses colombes".Le grain était considéré comme la personnification d'Inanna et la farine était une substance sacrée tirée de son corps. Elle était utilisée dans des rituels magiques et religieux. Les rites de guérison avaient lieu au sein d'un cercle sacré tracé avec de la farine répandue sur le sol. Le cercle symbolisait le pouvoir protecteur de la déesse et protégeait des intrusions malsaines. La farine était aussi dispersée sur le sol lors de rites de divination ou d'exorcisme. Des amas coniques de farine, parfois mélangés à des grains, étaient offerts aux divinités durant les invocations rituelles, et les figurines cérémonielles étaient cuites à partir de cette mixture et placées dans le cercle magique de farine, qui invoquait sa protection.Les incantations rituelles qui devaient repousser les énergies négatives débutaient également par le traçage d'un cercle magique de farine. Puis, venait la purification du patient par le bain, le smudging ou la fumigation avec encens. Puis le cercle était balayé, nettoyé. Les influences négatives étaient éloignées grâce au battement d'un tambour et au tintement de cloches. (La connexion rituelle du tambour avec la farine et le garin est reflétée dans les mots sumériens pour dire tambour, qui signifie "mesure pour le grain". La nourriture et l'encens étaient offerts aux divinités. Puis, les rites spécifiques aux besoins du patient était exécutés, et on terminait par des rites de fermeture, pour retourner à sa réalité de tous les jours.La première utilisation de la bière à base d'orge à être documentée a été trouvée à Sumer, bien qu'on croit qu'elle n'était pas inconnue au peuple de Çatal Hüyük. L'effort déployé pour collecter l'orge sauvage ou pour le cultiver laisse certains archéologues croire que la bière, plutôt que le pain, a été la motivation du développement de l'agriculture. Un poème de louange adressé à la déesse du grain vient appuyer cette idée, car il dit : "Nisaba, tu es la bière - bien plus que le pain".Un autre poème datant de l'an 1800 avant notre ère et dédié à la déesse de la bière, Ninkase (son nom signifie "Celle qui emplira ma bouche pleinement"), nous donne l'ancienne recette pour le brassage de la bière. Les Sumériens cuisaient un paix âcre et doux appelé bappir et fabriquait la bière à partir de celui-ci.La bière était originellement utilisée comme boisson intoxicante, bue rituellement. La combinaison de la boisson toxique et de l'effet de transe qu'accompagne le battement du tambour et le chant était utilisée pendant des milliers d'années afin d'atteindre un état extatique, euphorique. Inanna est liée à la taverne de bière. Hathor est la Déesse Dorée de l'Intoxication. En Crète et en Grèce, les maenades, les dévotes de Dionysos, utilisaient le vin comme boisson intoxicante, qui représentait le sang du dieu, alors qu'elles dansaient au son de la flûte et du tambour. De nos jours, dans les rites chrétiens, le vin représente encore le sang du Christ.
Hieros Gamos
Le jour du Nouvel An, les Sumériens célébraient le Hieros Gamos, ou le rite du mariage sacré - l'événement le plus important du calendrier religieux. L'épousée était la déesse Inanna qui se manifestait en la personne de sa haute-prêtresse et son époux était le dieu de la végétation Dumuzi, représenté par le roi local. Au son des tambours joués par les musiciens du temple, les cieux rencontraient la terre à travers les corps de la prêtresse et du roi. Ensemble, grâce à la reconstitution de l'acte sexuel originel qui apporta l'univers à l'existence, ils généraient le monde.Les anciens Sumériens appelaient ce festival a-ki-til, "le pouvoir de faire vivre le monde encore". Essentiellement, il célébrait la loi de l'éternel retour, exemplifié par les cycles de la lune - le père d'Inanna - représentés par les rythmes des tambours sacrés. Inanna, en tant que déesse du Grenier, du silo à grains, était le principe actif de la naissance et de la fertilité. Dumuzi était le potentiel de vie des champs et cultures. Leur union assurait l'abondance pour toute la communauté durant l'année à venir.Avant que le rite du mariage sacré ne soit célébré, toutefois, la communauté devait se purifier de ses actions négatives, de ses fautes rituelles et transgressions de l'année qui se terminait. Aussi, les déesses et les dieux responsables de la destinée de la nouvelle année devaient être célébrés. Seulement ensuite la nouvelle année pouvait-elle être fêtée.La consommation sacrée avait lieu dans un lit nuptial doré, tout en haut de la ziggourat. Grâce à la sexualité de la déesse, le monde était à nouveau amené à la vie. L'énergie divine engendrée par l'acte extatique de l'union sexuelle et de l'orgasme circulait directement à travers la communauté. Cela assurait la fécondité des cultures, c'était la promesse de fertilité et la joie de toute la population.Le rituel du mariage d'Inanna et de Dumuzi rappelle l'union Tantrique de Shakti et de Shiva, dont le couplage extatique, métaphore pour la fusion de l'énergie psychique du Yogi avec l'énergie du Cosmos, avait lieu à la couronne des sept chakras. La hotte de mariage sumérienne où Inanna et Dumuzi consommaient leur union sacrée se déroulait tout en haut de la ziggourat (qui possédait sept marches). Au sein des deux cultures, l'union sexuelle avec la déesse était une métaphore pour le relâchement d'énergie de guérison, physique et psychologique. Comme nous l'avons vu, le concept était au coeur des mystères sexuels primitifs. Plus tard, le Hieros Gamos, ou le mariage annuel entre une déesse du grain et son époux, devint un rite familier partout dans les cultures méditerranéennes.
Prêtresses-sexuelles sacrées
La divine expérience de l'extase sexuelle n'était pas l'apanage des déesses et dieux seuls. Dans les temples, les prêtresses-sexuelles sacrées pouvaient initier toute personne à cette expérience. Le corps de la prêtresse, temple de la déesse et de son pouvoir, était une voie sacrée d'initiation. Plusieurs femmes chanteuses et danseuses servaient dans les Temples de cette façon. La maîtrise du tambour faisait partie de leurs réalisations. Cela symbolisait leur habileté à incarner le pouvoir créatif de la Déesse.
Julius Evola, un chercheur italien, affirme l'acte sexuel physique fondamental était transformé en rituel et en cérémonie, puis en événement religieux important et puissant. La prêtresse maintenant son affiliation avec la déesse, transférant ses vertus à ses initiés. C'était un rite de communion avec la divinité, ce qui n'est pas sans rappeler le concept chrétien du Sacrement de l'Eucharistie.Cette tradition sacrée perdura même lorsqu'Inanna devint Ishtar, Anat, Ashtoreth et Aphrodite. On retrouve même des traditions similaires dans les temples d'Hathor et d'Isis en Égypte. Les prêtresses-sexuelles sacrées appelées devidasepratiquaient encore en Inde jusqu'à il y a très récemment."Le corps entier, ainsi que chaque partie du corps, étaient sacrées", nous dit Maria-Gabriele Wosien. "La nourriture, la boisson, la respiration et le sexe étaient perçus comme des canaux sacrés permettant au pouvoir d'entrer en nous".Servir en tant que prêtresse-sexuelle était un honneur et celles qui étaient choisies étaient parfois appelées "vierges saintes". Dans les cultures pré-chrétiennes, le terme signifiait simplement qu'elles n'étaient pas mariées; leur sexualité était entièrement dévouée au service de la déesse. Plusieurs de ces prêtresses provenaient des familles de l'aristocratie. Le point de vue moral actuel, toutefois, fait en sorte qu'il est difficile pour les historiens de comprendre cette sexualité comme une expression divine. C'est pourquoi les prêtresses-sexuelles sont souvent étiquetées prostituées, concubines ou courtisanes - des termes insultants qui représentent mal la sainteté de cet ancien rite très répandu. Rejeter l'initiation sacrée sexuelle en prétendant qu'il s'agit de prostitution est intenable.
La Descente d'Inanna
Un ancien poème provenant de Nipur, un centre culturel et spirituel à Sumer, rapporte l'histoire de la descente d'Inanna dans le monde d'en bas. Écrit autour de l'an 1750 avant notre ère, il a été retrouvé et traduit au début du vingtième siècle. Il préserve une très ancienne version d'un mythe d'initiation.Au milieu de son règne en tant que Reine des Cieux et de la Terre, Inanna décide de descendre dans le Monde d'en bas, le royaume de la mort gouverné par sa sombre soeur, Ereshkigal. Prévoyante, elle donne instructions à sa ministre, la déesse Ninshubar, d'attendre son retour dans trois jours. Si au bout de trois jours elle n'était toujours pas revenue, Ninshubar se lamenterait en battant le tambour pour elle.Inanna doit passer par sept portails dans sa descente. À chaque portail, elle est forcée d'abandonner des éléments de son me, les constructions de son identité culturelle et sociale. Lorsqu'elle atteint enfin la dernière chambre caverneuse où se trouve Ereshkigal, elle est complètement nue et abaissée.Ereshkigal et les sept juges du Monde d'en bas entourent l'impuissante déesse et posent leur jugement contre elle. Parce qu'elle a traversé le royaume des morts, elle aussi doit mourir. Elle est tuée et son cadavre est suspendu sur un crochet à viande. Après trois jours et trois nuits, Ninshubar se met à se lamenter, battant son tambour, se plaignant aux dieux afin qu'Inanna revienne. Enki, le dieu de l'eau et de la sagesse, envoie deux esprits asexués qui libèrent Inanna en lui donner la nourriture et l'eau de vie. Lorsqu'Inanna est ressuscitée, elle peut retourner chez elle, mais à une condition : elle doit trouver quelqu'un pour la remplacer dans le Monde d'en bas.L'époux d'Inanna, Dumuzi, avait profité de l'absence d'Inanna pour consolider son propre pouvoir. Pour le punir, Inanna l'envoya à sa place dans le Monde d'en bas. Mais la soeur de Dumuzi, Gestianna, négocie avec Inanna, et ainsi, Gestianna prendra la place de Dumuzi six mois durant l'année.Le symbolisme religieux de la Descente d'Inanna mêle la tradition archaïque du chamanisme avec des éléments qui rappellent les techniques et symboles Yogis. Dans les mots de l'ancien poème, Inanna tourne son oreille (qui, en Sumérien ancien signifie également son esprit) d'en "Haut vers le Bas" - du conscient vers l'inconscient. Le passage au mitan de sa vie dans son soi le plus profond et intime nécessite le sacrifice shamanique de sa persona afin qu'elle puisse gagner davantage de sagesse et de connaissances.L'essence des rites d'initiation shamanique est l'expérience de la mort et de la renaissance. Les shamans sibériens, dont les pratiques sont restées assez inchangées depuis l'Âge de pierre, subissent une maladie initiatique et une dissolution de leur personnalité, se culminant par une "mort" durant laquelle ils reposent dans un état inanimé à l'intérieur d'une loge ou dans un endroit isolé pendant trois à sept jours. Ils sont ramenés à une conscience normale seulement après l'expérience de l'initiation.La Yogini expérimente aussi une renaissance à travers l'éternel présent seulement après qu'elle ait sacrifié sa conscience personnelle. Sa quête est le soi derrière les conceptions, là où le "dessous" de l'inconscient et le "dessus" de la conscience sont unis comme une nouvelle identité. Les sept portes à travers lesquelles Inanna passe et descend dans le Monde d'en bas rappellent les sept niveaux de la ziggurat, le siège du pouvoir d'Inanna et ses réalisations dans le monde.Comme les septs chakras du corps psychique Hindou, les septs marches de la ziggourat représentent les sept niveaux de conscience. Inanna doit descendre du plus haut niveau de sa divinité jusqu'à l'état le plus primitif de conscience. À chaque porte, elle doit abandonner des aspects du me, les trappes mentales de l'identité culturelle inutiles dans le mort - jusqu'à dissolution complète de la structure de sa personnalité. Inanna demeure morte pendant trois jours et trois nuits - le même temps pendant lequel la lune "meurt" à la fin de son cycle. (Cet aspect des anciens mythes d'initiation est reflété dans la tradition chrétienne, lorsque le Christ ressuscite après trois jours). Durant sa mort, toute fertilité cesse. Plus rien ne croît ni ne s'accouple.Lorsque Ninshubar bat le tambour pour demander le relâchement d'Inanna, elle agit selon un rite shamanique très ancien. Battre le tambour est la manière traditionnelle utilisée par les shamans afin de descendre dans le Monde d'en bas et d'en revenir. Souvent durant une transe shamanique, l'assistant(e) du shaman bat le tambour afin de maintenir le lien entre les mondes. Sans le son du tambour pour montrer la voie, le shaman pourrait se perdre à jamais dans le Monde d'en bas.Sa renaissance préfigure dans les rites de résurrection des cultes à mystères qui ont fleuri dans le monde classique et dans lesquels les initiés recevaient leur vie nouvelle grâce au corps et au sang d'une divinité. Ce concept est symboliquement repris dans les rites de communion chrétiens.
Toutes les figures féminines de ce mythe sont les aspects de la seule Grande Déesse, le Divin Féminin. Inanna est la déesse irrésistible et sexuelle; Ereshkigal est son opposé, une manifestation des forces sombres de la dissolution et de la mort. Ninshubar est l'aspect conscient d'Inanna, responsable de lui donner le fil du rythme pour son retour du labyrinthe de sa conscience. Gestinanna représente son aspect de soignante qui se sacrifie elle-même pour les êtres qu'elle aime.La position de Dumuzi, en tant qu'époux d'Inanna, est intéressante. Sa tentative d'usurper le trône d'Inanna est traitée rapidement. Inanna est, de toute évidence, la grande puissance ici, et peut aisément ordonner le sacrifice de son mari afin de maintenir sa propre autonomie. Dans d'autres versions de ce mythe, Dumuzi est tué par des forces obscures et son épouse, sa mère et sa soeur sont laissées dans le deuil, et pleurent lors de sa descente dans le Monde d'en bas. Dumuzi est le dieu de la végétation et sa mort était commémorée cérémoniellement à Sumer durant les durs mois de l'été. Les pleureuses en chef - comme toujours, des femmes - pleureraient dramatiquement, s'habillant de haillons, se couvrant de cendres, se déchirant en chantant des lamentations rituelles au son des tambours et des flûtes de roseaux. Ces cérémonies de deuil rituel, qui apportait ensuite la résurrection heureuse de la divinité de la végétation, servait de puissance catharsis à la communauté.Le tambour et la flûte étaient également utilisés les rites funéraires pour les citoyens ordinaires et des figurines féminins jouant du tambour étaient souvent déposées près des corps des défunts afin de faciliter leur renaissance.
Les textes religieux de Sumer aidèrent les chercheurs à retracer l'évolution de la déesse dans les cultures qui précédèrent, dont celles de Çatal Hüyük et de ses racines paléolithiques. Les mythes d'initiation semblables à celui de la Descente d'Inanna étaient centraux à plusieurs écoles à mystères qui s'établirent un peu plus tard dans le bassin méditerranéen. On les retrouve dans les rites d'Isis et d'Osiris, de Cybèle et d'Attis, d'Aphrodite et d'Adonis, de Déméter et de Perséphone, d'Ariadne et de Dionysos. L'alternance entre la présence et l'absence de la déesse (ou du dieu) devient une manière de compréhension du processus de vie et de mort. Dans toutes ces traditions, le tambour était l'instrument primaire qui invoquait les états de transe nécessaires à la transformation.
La cité sumérienne d'Uruk, sacrée à la déesse Inanna, est le lieu d'origine du tout premier langage écrit, l'endroit où "l'histoire" débute. Les anciens textes sumériens décrivent des rituels impliquant l'utilisation de tambours et la fabrication de tambours sacrés. Ils nous donnent le nom du tout premier "drummer" de l'histoire - Lipushiau, la prêtresse la plus respectée de l'état-cité d'Ur.La culture urbaine sumérienne s'éveilla entre 4000 et 3000 avant l'ère chrétienne, sur les plaines alluviales entre les rivières Tigre et Euphrate (terre que les Grecs appelaient Mésopotamie, qui signifie "entre les rivières"). Son peuple développa tous les poinçons de la civilisation : l'écriture, la littérature, les systèmes d'éducation et légaux, la technologie de la roue, les arts spécialisés, les systèmes élaborés d'irrigation, l'astronomie calendaire. Pourtant, jusqu'à la fin du siècle dernier, lorsque la première preuve de l'existence de cette ancienne culture a été découverte, les réalisations des Sumériens avaient été effacés de nos mémoires.
Les cités de Sumer abritaient de vingt à cinquante mille habitants. Les gens y élevaient des ânes, buffles, chèvres, moutons et cochons. Les ânes et les buffles étaient utilisés pour labourer les champs, afin de cultiver le blé, l'orge et le palmier dattier. Durant les rudes étés, toute végétation se mourrait, il était alors essentiel de récolter et d'engranger le grain afin de nourrir à la fois les hommes et les bêtes. Le Tigre et l’Euphrate étaient des rivières sauvages et imprévisibles, qui débordaient fréquemment et avaient des changements radicaux dans leurs cours. La culture était alors assez précaire, expérimentant des pénuries d'eau continues au début de la saison, puis des inondations périodiques lors de la récolte. De telles nombreuses populations pouvaient exister dans une terre inhospitalière que grâce à un environnement artificiel, soutenu par l'irrigation, l'agriculture et l'élevage d'animaux; pourtant les archéologues ont trouvé que les cités avaient crû autour de complexes et de temple monumentaux construits bien avant le développement de l'irrigation.L'historien Robert M. Adams émet l'hypothèse selon laquelle l'impulsion pour l'urbanisation ait pu provenir de "nouveaux modes de pensées et d'organisations sociales, se cristallisant dans les temples". Les complexes des temples étaient érigés sur des sols sacrés, des "lieux de pouvoir" où les gens convergeaient pour ressentir la présence d'énergies divines, depuis l'époque néolithique. Il s'agissait de centres de pèlerinage où la communication entre les cieux, la terre et les enfers pouvait avoir lieu, où les prêtresses et les prêtres - techniciens du Sacré - pouvaient, grâce au pouvoir du rituel, chanter et tambouriner, agir en tant que canaux pour le Divin.
Le Temple
Conceptuellement, le temple était une extension de la cave paléolithique. Par la porte des murs externes, l'un entrait dans cet intérieur "utérin" du Divin. Le temple intérieur était une réplique du sanctuaire original, une simple hutte de roseau, bien que plus tard il fut construit avec des matériaux plus solides. Il était bâti sur une plateforme élevée qui, plus tard, devint la ziggourat pyramidale.Joseph Campbell décrit la ziggourat comme étant le point central au centre de l'espace du cercle sacré, où les pouvoirs de la terre et des cieux convergent, un concept similaire au symbole hindou du bindou. C'était une tour pyramidale de plusieurs plateformes dont les coins étaient orientés vers les quatre directions de la boussole. Au sommet de ce temple intérieur sacré avait lieu le hieros gamos, la plus importante des cérémonies religieuses de l'année. La nuit, la haute prêtresse recevait ses prophéties et révélations, données par la divinité, en sa chapelle. (Nous ne savons pas quel rituel elle utilisait pour ce faire, mais nous sommes très certains que cela impliquait l'utilisation d'un tambour. Comme nous le verrons, les hautes prêtresses de Sumer étaient des drummers talentueuses, et les prophétesses des civilisations qui lui succédèrent lui empruntèrent ses traditions, dont celles qui impliquaient les tambours).Le temple intérieur était entouré de plusieurs chambres où des offrandes rituelles étaient préparées. Un complexe d'ateliers, d'installations médicales, de magasins et de bureaux administratifs s'était installé autour. Des murs rectangulaires ou, dans certains cas ovales, entouraient l'édifice principal du complexe. (Campbell sentit que les murs ovales construits dans certains temples avaient été faits ainsi pour représenter la vulve de la déesse). À l'intérieur se trouvaient les demeures des prêtresses et des prêtres, les cuisines où étaient cuits les gâteaux rituels, les greniers, les caves à vin, les puits et les granges pour les buffles sacrés.[...]L'invention de l'écriture est attribuée à Nisaba, la déesse de "l'écriture, de la comptabilité et du savoir scribe", ainsi que déesse du grain. Similairement, la déesse égyptienne de l'écriture, Seshat, est appelée "celle qui est première dans la maison des livres". Un autre nom pour Seshat est Sefhet, qui signifie "sept", et son symbole est une fleur à sept pétales. Lors de la création d'un nouveau temple, le prêtre de Seshat établissait le plan du sol avec une corde à mesurer. En Égypte et à Sumer, les temples de ces déesses étaient des centres d'apprentissage. Le grand temple d'Inanna à Uruk était appelée Maison de Connaissance. Une hypothèse a été émise au fait que les prêtresses ait développé le langage écrit comme une extension des calendriers lunaires qu'elles utilisaient pour marquer les périodes menstruelles et les mois de grossesse.La tête spirituelle du temple était appelée En, et pouvait être un homme ou une femme. L'En du temple principal d'Inanna à Uruk était un homme, l'En d'Ekishnugal, le temple du dieu-lune Nanna à Uruk était une femme. En l'an 2380 avant l'ère chrétienne, l'En d'Ekishnugal était Lipushiau, la petite-fille du Roi Naramsin. Elle avait aussi été désignée joueuse de balag-di, que l'éminent musicologue Curt Sachs identifia comme un petit tambour utilisé pour les chants liturgiques. Ce qui fait de Lipushiau la première joueuse de tambour connue de l'histoire.
Visages de la Déesse
Les anciens textes sumériens décrivent plusieurs divinités, masculines et féminines, mais une déesse était vénérée plus que toutes autres divinités, pendant des milliers d'années. C'est Inanna, la Grande Déesse vénérée depuis le début de la culture sumérienne. Elle s'est transformée en Ishtar plus tardivement en Mésopotamie, en Anat et Atargatis en ancienne Syrie, en Ashtoreth et Astarté à Canaan et Israël, en Aphrodite à Chypre, en Athéna et Aphrodite en Grèce. En Mésopotamie, elle se divise en plusieurs déesses, mais il y a toujours les mêmes qualités et attributs qui reviennent, nous laissant savoir qu'il s'agit d'une seule déesse, Celle aux multiples noms.Nammu est la Déesse Mère qui donne naissance au ciel et à la terre, la grande ancêtre qui engendra les dieux en son utérus. Le pictogramme représentant son nom signifie "mer primordiale". Elle ressemble à la mère nourricière représentée en la Vénus de Willendorf du Paléolithique. Ninhursaga est la Terre Mère, nommée la Mère de Tous les Enfants, celle qui crée et donne naissance - pas seulement à tout peuple, mais également à toute vie sauvage. Dans les anciens textes, on l'appelle aussi mère des dieux, qui rappelle les fonctions de Nammu.Sous la forme d'une déesse-vache dans les tout premiers temples, Ninhursaga nourrissait les rois sumériens de son lait divin, probablement produit par les vaches sacrées du temple, qui étaient ses manifestations. Son temple s'appelait Kesh, qui signifie à la fois "protection" et "sanctuaire".
Dans son rôle de déesse de l'accouchement, la déesse est parfois appelée Nintur, un nom qui est parfois traduit comme suit : "Dame de la Hutte de Naissance". Ce nom inclut un signe qui semble être un dessin d'une hutte de naissance dans un enclos de bétails. Le mot sumérien pour dire bergerie représente une maison de naissance à l'intérieur d'une bergerie, un utérus et une vulve. Selon Thorkild Jacobsen, son emblème, dont la "forme ressemblait à la lettre grecque Omega, a pu être interprété, à partir de parallèles égyptiens, comme une représentation de l'utérus d'une vache". Les épithètes de Nintur incluent : "Dame de l'Utérus", "Dame qui donne forme", "Dame Potière", "Charpentière des Intérieurs" et "Dame de l'Embryon". Elle est le pouvoir incroyable de l'utérus, qui fait croître l'embryon, donnant une forme unique à chaque être.En tant qu'Inanna, le divin déminin est représenté comme une belle, artistocratique jeune déesse de l'amour érotique et de la fertilité, et plus tard de la guerre. Elle partage des caractéristiques avec Ninhursaga, parce qu'elle se manifeste dans le corral, dans la bergerie et dans l'étable, des abris qui devinrent les premiers temples de l'ancienne déesse-vache. Inanna est également déesse de la pluie et son pouvoir dans cet aspect est chamanique. Elle peut donner ou retenir la pluie. Elle contrôle le tonnerre. "Je marche dans les Cieux et les pluies s'abattent; Je marche sur la Terre et l'herbe et la végétation croissent", chante-t-elle. Les nuages étaient appelés "seins du Ciel". Les orages étaient les manifestations de la colère d'Inanna, lourds des grognements de ses animaux alliés, le lion et le taureau - des animaux de pouvoir associés à la déesse de Çatal Hüyük. Traditionnellement, le tambour sur cadre était utilisé pour invoquer la pluie, en reproduisant le bruit du tonnerre.Comme la déesse hindoue Sarasvati, on dit qu'Inanna dota l'humanité de la civilisation - une réflexion d'un rôle primaire des femmes en créant la culture. Son don est appelé le "me" ou mère-sagesse. Ce sont les principes qui contrôlent et mettent en oeuvre les patterns culturels qui donnent naissance à une civilisation. Ereshkigal, la déesse de la mort, est le miroir opposé d'Inanna, son ombre sombre. Elle représente des aspects cachés, destructeurs et déchaînés de la déesse qu'Inanna, comme toutes les femmes, doit apprendre à respecter et reconnaître comme part d'elle-même.
Symboles de la Déesse
Inanna a gardé plusieurs des symboles anciens des déesses du Paléolithique et du Néolithique. Elle était appelée "Première Fille de la Lune" et elle portait la couronne de cornes lunaires, souvent formée avec sept pairs de cornes superposées. Ces cornes l'identifiaient avec l'ancienne déesse-vache. Elle était souvent représentée un pied sur son lion ou le chevauchant, gardiens tous deux des portes de la conscience. Elle fut également identifiée à Vénus, l'étoile du matin et du soir.Inanna était connue aussi comme la déesse du palmier dattier. Il y avait toujours un arbre vivant grandissant à l'intérieur de son temple, dont on s'occupait en tant que représentation de l'Arbre de Vie. Inanna apparaît avec la colombe et le serpent. Depuis les temps anciens, l'oiseau et le serpent étaient liés avec le don de prophétie, le pouvoir de la renaissance et à l'Arbre de Vie.
La rosette, l'un des plus anciens symboles associés à Inanna, apparaît à Uruk bien avant 3 000 ans avant notre ère. Plusieurs rosettes ont été trouvées dans son temple, dans la cité d'Ashur, dans la période Assyrienne moyenne (1350-1000 avant l'ère chrétienne). Les représentations de rosettes les plus anciennes étaient composées de sept points, ainsi que six entourant un autre point au centre. Ces sept points ou étoiles, qui apparaissaient souvent dans les représentations d'Inanna, remontent aux plus anciennes périodes la culture sumérienne. Plus tard, les sept points ont été arrangés en deux rangées de trois points, avec le septième point placé entre les deux rangées. Ces points représenteraient les Pléiades, mais également les sept portes à travers lesquelles Inanna aurait passé dans le Monde d'en bas, et possiblement aussi le concept des sept chakras. Un autre symbole stellaire avec huit points était connu depuis la période préhistorique jusqu'à la période Néo-babylonienne comme symbole d'Inanna.Inanna apparaît également se tenant sur le don de son lion, tenant des lotus. Ces symboles floraux, alliés à la rosette, représentent la vulve ou l'utérus de la déesse, duquel jaillissent les eaux de création. Dans les cultures plus tardives, on voit de manière répétée ces types de symboles peints sur le dessus des tambours à cadre. (Une seule des représentations de tambour à cadre avec un symbole peint sur le-dessus a survécu de la Mésopotamie. Ce tambour était peint avec le symbole du swastika et était joué par une femme).
Musique rituelle
Les énergies cycliques des saisons et l'année étaient comprises et préservées dans le rythme des rituels du temple. Garder la population urbaine en contact profond avec les cycles de la nature était l'un des premiers buts des rituels dirigés par les prêtresses et les prêtres de Sumer. Le temple d'Inanna à Uruk était construit acoustiquement, de manière à accroître l'effectivité des rituels qui prenaient place en ses murs. Le temple en lui-même agissait comme un transformateur, amplifiant la musique et le chant sacrés.La musique jouée tenait un rôle essentiel dans les rituels des temples et même dans la vie quotidienne. Les instruments premiers qui étaient utilisés incluaient le tambour à cadre, les gros tambours, les lyres, les harpes, les sistres, les flûtes de métal et les flûtes de roseau. Le tambour est particulièrement présent dans les textes religieux."Les petits tambours à main, joués par les femmes, que nous connaissons des plus anciennes périodes de la culture sumérienne nous proviennent sûrement d'une tradition néolithique, dit l'historien de la musique Walter Wiora.
La chercheuse Joan Rimmer décrit un bon nombre de figurines et de plaques représentant des femmes tenant "des objets plats et circulaires". Elle pense que ces objets sont des tambours. "On croit généralement que ces figures sont liées au culte de la Déesse Mère et que les objets circulaires sont des disques ou des tambours, qui étaient presque exclusivement des instruments féminins, même à l'époque des Grecs et des Romains. Il y a quelques exemples dans lesquels indisputablement un tambour est réellement représenté et tenu de côté, et battu. Il semble probable que le tambour, ait-il été utilisé pour marquer le rythme de chants ou de danse ou les deux, ait été joué par des prêtresses ou des leaders féminins talentueuses."Ces sculptures de femmes avec tambours ont été identifiées : "femme avec disque" ou "femme avec gâteau". Il existe une position traditionnelle pour tenir le tambour toujours utilisé au Maroc aujourd'hui, et à travers le Moyen-Orient et la Turquie et qui semble identique à celle adoptée par les figures des "femmes avec gâteau". De plus, toute personne ayant déjà fait un gâteau n'aurait jamais tenté, ni même pensé de le tenir de cette façon."Les tambours sumériens avaient été peints de rouge, la couleur sacrée du sang. On croit aussi qu'il puisse y avoir eu du cuivre, ce qui peut avoir impliqué que les tambours aient eu des petites cymbales ou des petites pièces de métal autour du cadre. Nous ne pouvons affirmer avec certitude que les tambours avaient des cymbales attachées, ce qui en feraient des tambourins, jusqu'à l'ère Romaine, mais les sistres apparaissent avec les plus anciennes représentations d'instruments de musique et semblent en lien avec les tambours.Les harpes trouvées dans la tombe de la Reine Pu-abi (ou Shub-ad) à Ur sont les plus anciens - et complexes - instruments jamais retrouvés. La Reine Pu-abi et son époux, le Roi A-bar-gi, ont été inhumés dans des tombes ornées, autour de l'an 2700 avant notre ère, avec leurs suites - environ soixante-cinq personnes pour le roi et trente-cinq pour la reine. Dans les deux cas, il y avait un grand nombre de musiciennes avec leurs instruments. Ces personnes étaient richement vêtues, dans leurs vêtements de cour. Il n'y a aucun signe de violence sur leurs corps et il est presque certain qu'elles se soient donné la mort volontairement. Les chercheurs pensent que, après avoir dirigé une sorte de rituelle, elles auraient bu une drogue, un poison, pour ensuite aller dormir. Les harpistes ont été trouvées assises ou couchées près de leurs harpes, comme si elles avaient continué de jouer jusqu'à la fin. Une de ces harpes est décorée avec une scène, sculptée, représentant un orchestre animal dans lequel une gerboise joue du sistre. Sur ses cuisses est posé un tambour. Il y a aussi un sceau-cylindre sur lequel est représentée la Reine Pu-abi avec les femmes de sa cour ou des prêtresses jouant de la harpe et du tambour. Le balag-di, un petit tambour à cadre joué par Lipushiau dans le temple du dieu-lune, était utilisé pour accompagner les chants liturgiques, dans les cérémonies où on voulait prévenir la calamité, et dans les célébrations religieuses. Le balag, un plus large tambour, était disposé en face du temple de la déesse Babba (ou Bau) le jour du Nouvel An. Ce tambour se nommait Nin-an-da-gal-ki, la Maîtresse des Grands Cieux et Terre. Le symbole de Babba est la pelle à vanner utilisée pour nettoyer le grain.Dans une chanson décrivant comment Inanna devait être reçue dans sa cité sacrée, Uruk, la déesse chante :
"Laissez le tambour et le tambourin résonner
Laissez la douce musique du tigi jouer
Laisser toutes les terres proclamer mon noble nom
Laissez mon peuple chanter mes louanges"
Puis, elle énumère ses dons - il y en a plus d'une centaine, dont le don de musique et spécifiquement du tambour :
"Elle apporta les tigi, et les tambours lilis.
Elle apporta les ubs, les meze etles tambourins ala..."
Dans les mains de batteurs ou batteuses expérimenté(e)s, le battement des tambours rituels pouvaient hausser dramatiquement les émotions derrière les mots. Les anciens textes décrivant la musique du temple semblent considérer le tambour et la voix dans l'achèvement de la musique. Le son du tambour et de la voix pouvait "apaiser les larmes" et "adoucir les soupirs". Dans les processions, lors d'occasions cérémonielles, le son du tambour "calmait et élevait les hommes de la cité".Le tambour était aussi utilisé pour attirer l'attention divine. Une inscription hittite décrit un rituel dans lequel une femme jouant des cymbales prend le tambour afin d'appeler les dieux. (Les Hittites provenaient d'une culture influencée par les Sumériens et vécurent au second millénaire avant notre ère). La voix du tambour appelait et ensuite devenait la voix de la divinité.À partir de 2 500 ans avant notre ère, des offrandes à Inanna étaient placées sur un autel, dont la forme rappelait celle d'un tambour en sablier, suggérant que, à une époque antérieure, elles étaient placées sur le tambour même. Cette pratique impliquait également que le tambour était central à tout être vivant de cette société.Les prêtresses et prêtres Kalu étaient des musiciens et chanteurs dans les temples. Leur fonction était d'invoquer la bienveillance de la divinité en chantant des hymnes et des liturgies, en étant accompagnés par la musique des instruments incluant la lyre, la harpe, la flûte et le tambour. Une inscription sur une tablette dédiée à Ishtar se traduit comme suit :
"les prêtres-Kalu, tous se tiennent autour, avec la flûte et le tambour [lub-dub-ta]."
Dans une lamentation suivant la destruction de Nippur, le psalmiste est dirigé afin de "chanter au tambour [balag]." Un dévot dit : "Au petit tambour [ub] et au plus large tambour [a-la], je chante". Les chanteurs et les musiciens entreprenaient un cheminement de trois ans d'apprentissage, et on croit que les hautes-prêtresses et hauts-prêtres étudiaient encore bien plus longtemps.
La Sombre Lune
On a pu retracé, dans les textes d'Uruk, une preuve que le son des tambours a pu calmer et rassurer la population durant une éclipse. Son effectivité était probablement liée au fait qu'il leur était familier d'entrer les tambours utilisés mensuellement pour les rituels. Lors de la Troisième Dynastie d'Ur, la Reine était responsable des offrandes rituelles à la Lune durant les trois jours que durait la fin de son cycle, lorsqu'elle était noire. C'était un temps de lamentations, lors duquel on croyait que la lune était dans le Monde d'en Bas (Enfers). Sa résurrection était due au son des tambours que l'on battait.Ce rituel mensuel où l'on battait les tambours peut aussi avoir facilité le flux du sang menstruel. Les cycles menstruels et les cycles lunaires ont conservé leurs anciennes associations et références de l'ancien monde, qui suggérait que les femmes étaient menstruées en même temps, lors de la lune sombre. Depuis l'époque paléolithique, le sang menstruel était considéré comme une substance puissamment magique pour invoquer la résurrection ou la renaissance. On croyait que les prêtresses menstruées qui jouaient du tambour avaient le pouvoir de ramener la lune et simultanément, de rendre la terre fertile. En décrivant les traditions folkloriques contemporaines en Inde, Pupul Jayakar déclare : "Le sang féconde la terre et à travers un processus magique d'alchimie, elle le transforme en pluie et en nourriture.
"Le Grain Sacré
Nous avons vu comment la montée de l'agriculture étendit le miracle de la transformation du Paléolitique - l'eau qui devient sang, qui devient lait - pour inclure ensuite le pain. Tout comme à Çatal Hüyük, les fours à pain étaient installés dans les sanctuaires, à Sumer, les boulangeries étaient rattachées aux temples. Là, les gâteaux utilisés pour les rituels du temple étaient préparés. Selon l'historien George Contenau, ces boulangers "préparaient les gâteaux sacrés que les dévots de la déesse Ishtar [l'Inanna babylonienne] émiettaient et laissaient pour ses colombes".Le grain était considéré comme la personnification d'Inanna et la farine était une substance sacrée tirée de son corps. Elle était utilisée dans des rituels magiques et religieux. Les rites de guérison avaient lieu au sein d'un cercle sacré tracé avec de la farine répandue sur le sol. Le cercle symbolisait le pouvoir protecteur de la déesse et protégeait des intrusions malsaines. La farine était aussi dispersée sur le sol lors de rites de divination ou d'exorcisme. Des amas coniques de farine, parfois mélangés à des grains, étaient offerts aux divinités durant les invocations rituelles, et les figurines cérémonielles étaient cuites à partir de cette mixture et placées dans le cercle magique de farine, qui invoquait sa protection.Les incantations rituelles qui devaient repousser les énergies négatives débutaient également par le traçage d'un cercle magique de farine. Puis, venait la purification du patient par le bain, le smudging ou la fumigation avec encens. Puis le cercle était balayé, nettoyé. Les influences négatives étaient éloignées grâce au battement d'un tambour et au tintement de cloches. (La connexion rituelle du tambour avec la farine et le garin est reflétée dans les mots sumériens pour dire tambour, qui signifie "mesure pour le grain". La nourriture et l'encens étaient offerts aux divinités. Puis, les rites spécifiques aux besoins du patient était exécutés, et on terminait par des rites de fermeture, pour retourner à sa réalité de tous les jours.La première utilisation de la bière à base d'orge à être documentée a été trouvée à Sumer, bien qu'on croit qu'elle n'était pas inconnue au peuple de Çatal Hüyük. L'effort déployé pour collecter l'orge sauvage ou pour le cultiver laisse certains archéologues croire que la bière, plutôt que le pain, a été la motivation du développement de l'agriculture. Un poème de louange adressé à la déesse du grain vient appuyer cette idée, car il dit : "Nisaba, tu es la bière - bien plus que le pain".Un autre poème datant de l'an 1800 avant notre ère et dédié à la déesse de la bière, Ninkase (son nom signifie "Celle qui emplira ma bouche pleinement"), nous donne l'ancienne recette pour le brassage de la bière. Les Sumériens cuisaient un paix âcre et doux appelé bappir et fabriquait la bière à partir de celui-ci.La bière était originellement utilisée comme boisson intoxicante, bue rituellement. La combinaison de la boisson toxique et de l'effet de transe qu'accompagne le battement du tambour et le chant était utilisée pendant des milliers d'années afin d'atteindre un état extatique, euphorique. Inanna est liée à la taverne de bière. Hathor est la Déesse Dorée de l'Intoxication. En Crète et en Grèce, les maenades, les dévotes de Dionysos, utilisaient le vin comme boisson intoxicante, qui représentait le sang du dieu, alors qu'elles dansaient au son de la flûte et du tambour. De nos jours, dans les rites chrétiens, le vin représente encore le sang du Christ.
Hieros Gamos
Le jour du Nouvel An, les Sumériens célébraient le Hieros Gamos, ou le rite du mariage sacré - l'événement le plus important du calendrier religieux. L'épousée était la déesse Inanna qui se manifestait en la personne de sa haute-prêtresse et son époux était le dieu de la végétation Dumuzi, représenté par le roi local. Au son des tambours joués par les musiciens du temple, les cieux rencontraient la terre à travers les corps de la prêtresse et du roi. Ensemble, grâce à la reconstitution de l'acte sexuel originel qui apporta l'univers à l'existence, ils généraient le monde.Les anciens Sumériens appelaient ce festival a-ki-til, "le pouvoir de faire vivre le monde encore". Essentiellement, il célébrait la loi de l'éternel retour, exemplifié par les cycles de la lune - le père d'Inanna - représentés par les rythmes des tambours sacrés. Inanna, en tant que déesse du Grenier, du silo à grains, était le principe actif de la naissance et de la fertilité. Dumuzi était le potentiel de vie des champs et cultures. Leur union assurait l'abondance pour toute la communauté durant l'année à venir.Avant que le rite du mariage sacré ne soit célébré, toutefois, la communauté devait se purifier de ses actions négatives, de ses fautes rituelles et transgressions de l'année qui se terminait. Aussi, les déesses et les dieux responsables de la destinée de la nouvelle année devaient être célébrés. Seulement ensuite la nouvelle année pouvait-elle être fêtée.La consommation sacrée avait lieu dans un lit nuptial doré, tout en haut de la ziggourat. Grâce à la sexualité de la déesse, le monde était à nouveau amené à la vie. L'énergie divine engendrée par l'acte extatique de l'union sexuelle et de l'orgasme circulait directement à travers la communauté. Cela assurait la fécondité des cultures, c'était la promesse de fertilité et la joie de toute la population.Le rituel du mariage d'Inanna et de Dumuzi rappelle l'union Tantrique de Shakti et de Shiva, dont le couplage extatique, métaphore pour la fusion de l'énergie psychique du Yogi avec l'énergie du Cosmos, avait lieu à la couronne des sept chakras. La hotte de mariage sumérienne où Inanna et Dumuzi consommaient leur union sacrée se déroulait tout en haut de la ziggourat (qui possédait sept marches). Au sein des deux cultures, l'union sexuelle avec la déesse était une métaphore pour le relâchement d'énergie de guérison, physique et psychologique. Comme nous l'avons vu, le concept était au coeur des mystères sexuels primitifs. Plus tard, le Hieros Gamos, ou le mariage annuel entre une déesse du grain et son époux, devint un rite familier partout dans les cultures méditerranéennes.
Prêtresses-sexuelles sacrées
La divine expérience de l'extase sexuelle n'était pas l'apanage des déesses et dieux seuls. Dans les temples, les prêtresses-sexuelles sacrées pouvaient initier toute personne à cette expérience. Le corps de la prêtresse, temple de la déesse et de son pouvoir, était une voie sacrée d'initiation. Plusieurs femmes chanteuses et danseuses servaient dans les Temples de cette façon. La maîtrise du tambour faisait partie de leurs réalisations. Cela symbolisait leur habileté à incarner le pouvoir créatif de la Déesse.
Julius Evola, un chercheur italien, affirme l'acte sexuel physique fondamental était transformé en rituel et en cérémonie, puis en événement religieux important et puissant. La prêtresse maintenant son affiliation avec la déesse, transférant ses vertus à ses initiés. C'était un rite de communion avec la divinité, ce qui n'est pas sans rappeler le concept chrétien du Sacrement de l'Eucharistie.Cette tradition sacrée perdura même lorsqu'Inanna devint Ishtar, Anat, Ashtoreth et Aphrodite. On retrouve même des traditions similaires dans les temples d'Hathor et d'Isis en Égypte. Les prêtresses-sexuelles sacrées appelées devidasepratiquaient encore en Inde jusqu'à il y a très récemment."Le corps entier, ainsi que chaque partie du corps, étaient sacrées", nous dit Maria-Gabriele Wosien. "La nourriture, la boisson, la respiration et le sexe étaient perçus comme des canaux sacrés permettant au pouvoir d'entrer en nous".Servir en tant que prêtresse-sexuelle était un honneur et celles qui étaient choisies étaient parfois appelées "vierges saintes". Dans les cultures pré-chrétiennes, le terme signifiait simplement qu'elles n'étaient pas mariées; leur sexualité était entièrement dévouée au service de la déesse. Plusieurs de ces prêtresses provenaient des familles de l'aristocratie. Le point de vue moral actuel, toutefois, fait en sorte qu'il est difficile pour les historiens de comprendre cette sexualité comme une expression divine. C'est pourquoi les prêtresses-sexuelles sont souvent étiquetées prostituées, concubines ou courtisanes - des termes insultants qui représentent mal la sainteté de cet ancien rite très répandu. Rejeter l'initiation sacrée sexuelle en prétendant qu'il s'agit de prostitution est intenable.
La Descente d'Inanna
Un ancien poème provenant de Nipur, un centre culturel et spirituel à Sumer, rapporte l'histoire de la descente d'Inanna dans le monde d'en bas. Écrit autour de l'an 1750 avant notre ère, il a été retrouvé et traduit au début du vingtième siècle. Il préserve une très ancienne version d'un mythe d'initiation.Au milieu de son règne en tant que Reine des Cieux et de la Terre, Inanna décide de descendre dans le Monde d'en bas, le royaume de la mort gouverné par sa sombre soeur, Ereshkigal. Prévoyante, elle donne instructions à sa ministre, la déesse Ninshubar, d'attendre son retour dans trois jours. Si au bout de trois jours elle n'était toujours pas revenue, Ninshubar se lamenterait en battant le tambour pour elle.Inanna doit passer par sept portails dans sa descente. À chaque portail, elle est forcée d'abandonner des éléments de son me, les constructions de son identité culturelle et sociale. Lorsqu'elle atteint enfin la dernière chambre caverneuse où se trouve Ereshkigal, elle est complètement nue et abaissée.Ereshkigal et les sept juges du Monde d'en bas entourent l'impuissante déesse et posent leur jugement contre elle. Parce qu'elle a traversé le royaume des morts, elle aussi doit mourir. Elle est tuée et son cadavre est suspendu sur un crochet à viande. Après trois jours et trois nuits, Ninshubar se met à se lamenter, battant son tambour, se plaignant aux dieux afin qu'Inanna revienne. Enki, le dieu de l'eau et de la sagesse, envoie deux esprits asexués qui libèrent Inanna en lui donner la nourriture et l'eau de vie. Lorsqu'Inanna est ressuscitée, elle peut retourner chez elle, mais à une condition : elle doit trouver quelqu'un pour la remplacer dans le Monde d'en bas.L'époux d'Inanna, Dumuzi, avait profité de l'absence d'Inanna pour consolider son propre pouvoir. Pour le punir, Inanna l'envoya à sa place dans le Monde d'en bas. Mais la soeur de Dumuzi, Gestianna, négocie avec Inanna, et ainsi, Gestianna prendra la place de Dumuzi six mois durant l'année.Le symbolisme religieux de la Descente d'Inanna mêle la tradition archaïque du chamanisme avec des éléments qui rappellent les techniques et symboles Yogis. Dans les mots de l'ancien poème, Inanna tourne son oreille (qui, en Sumérien ancien signifie également son esprit) d'en "Haut vers le Bas" - du conscient vers l'inconscient. Le passage au mitan de sa vie dans son soi le plus profond et intime nécessite le sacrifice shamanique de sa persona afin qu'elle puisse gagner davantage de sagesse et de connaissances.L'essence des rites d'initiation shamanique est l'expérience de la mort et de la renaissance. Les shamans sibériens, dont les pratiques sont restées assez inchangées depuis l'Âge de pierre, subissent une maladie initiatique et une dissolution de leur personnalité, se culminant par une "mort" durant laquelle ils reposent dans un état inanimé à l'intérieur d'une loge ou dans un endroit isolé pendant trois à sept jours. Ils sont ramenés à une conscience normale seulement après l'expérience de l'initiation.La Yogini expérimente aussi une renaissance à travers l'éternel présent seulement après qu'elle ait sacrifié sa conscience personnelle. Sa quête est le soi derrière les conceptions, là où le "dessous" de l'inconscient et le "dessus" de la conscience sont unis comme une nouvelle identité. Les sept portes à travers lesquelles Inanna passe et descend dans le Monde d'en bas rappellent les sept niveaux de la ziggurat, le siège du pouvoir d'Inanna et ses réalisations dans le monde.Comme les septs chakras du corps psychique Hindou, les septs marches de la ziggourat représentent les sept niveaux de conscience. Inanna doit descendre du plus haut niveau de sa divinité jusqu'à l'état le plus primitif de conscience. À chaque porte, elle doit abandonner des aspects du me, les trappes mentales de l'identité culturelle inutiles dans le mort - jusqu'à dissolution complète de la structure de sa personnalité. Inanna demeure morte pendant trois jours et trois nuits - le même temps pendant lequel la lune "meurt" à la fin de son cycle. (Cet aspect des anciens mythes d'initiation est reflété dans la tradition chrétienne, lorsque le Christ ressuscite après trois jours). Durant sa mort, toute fertilité cesse. Plus rien ne croît ni ne s'accouple.Lorsque Ninshubar bat le tambour pour demander le relâchement d'Inanna, elle agit selon un rite shamanique très ancien. Battre le tambour est la manière traditionnelle utilisée par les shamans afin de descendre dans le Monde d'en bas et d'en revenir. Souvent durant une transe shamanique, l'assistant(e) du shaman bat le tambour afin de maintenir le lien entre les mondes. Sans le son du tambour pour montrer la voie, le shaman pourrait se perdre à jamais dans le Monde d'en bas.Sa renaissance préfigure dans les rites de résurrection des cultes à mystères qui ont fleuri dans le monde classique et dans lesquels les initiés recevaient leur vie nouvelle grâce au corps et au sang d'une divinité. Ce concept est symboliquement repris dans les rites de communion chrétiens.
Toutes les figures féminines de ce mythe sont les aspects de la seule Grande Déesse, le Divin Féminin. Inanna est la déesse irrésistible et sexuelle; Ereshkigal est son opposé, une manifestation des forces sombres de la dissolution et de la mort. Ninshubar est l'aspect conscient d'Inanna, responsable de lui donner le fil du rythme pour son retour du labyrinthe de sa conscience. Gestinanna représente son aspect de soignante qui se sacrifie elle-même pour les êtres qu'elle aime.La position de Dumuzi, en tant qu'époux d'Inanna, est intéressante. Sa tentative d'usurper le trône d'Inanna est traitée rapidement. Inanna est, de toute évidence, la grande puissance ici, et peut aisément ordonner le sacrifice de son mari afin de maintenir sa propre autonomie. Dans d'autres versions de ce mythe, Dumuzi est tué par des forces obscures et son épouse, sa mère et sa soeur sont laissées dans le deuil, et pleurent lors de sa descente dans le Monde d'en bas. Dumuzi est le dieu de la végétation et sa mort était commémorée cérémoniellement à Sumer durant les durs mois de l'été. Les pleureuses en chef - comme toujours, des femmes - pleureraient dramatiquement, s'habillant de haillons, se couvrant de cendres, se déchirant en chantant des lamentations rituelles au son des tambours et des flûtes de roseaux. Ces cérémonies de deuil rituel, qui apportait ensuite la résurrection heureuse de la divinité de la végétation, servait de puissance catharsis à la communauté.Le tambour et la flûte étaient également utilisés les rites funéraires pour les citoyens ordinaires et des figurines féminins jouant du tambour étaient souvent déposées près des corps des défunts afin de faciliter leur renaissance.
Les textes religieux de Sumer aidèrent les chercheurs à retracer l'évolution de la déesse dans les cultures qui précédèrent, dont celles de Çatal Hüyük et de ses racines paléolithiques. Les mythes d'initiation semblables à celui de la Descente d'Inanna étaient centraux à plusieurs écoles à mystères qui s'établirent un peu plus tard dans le bassin méditerranéen. On les retrouve dans les rites d'Isis et d'Osiris, de Cybèle et d'Attis, d'Aphrodite et d'Adonis, de Déméter et de Perséphone, d'Ariadne et de Dionysos. L'alternance entre la présence et l'absence de la déesse (ou du dieu) devient une manière de compréhension du processus de vie et de mort. Dans toutes ces traditions, le tambour était l'instrument primaire qui invoquait les états de transe nécessaires à la transformation.